L’information, c’est la vie. Et le code, c’est la loi

Le biologiste américain Craig Venter et son équipe ont mis au point la première bactérie dotée d’un génome synthétique, c’est-à-dire d’un génome assemblé pièce par pièce (Gibson et al 2010). Cette découverte, attendue depuis quelques années, a été abondamment commentée. Elle ouvre des horizons immenses, que certains jugeront enthousiasmants et d’autres inquiétants.

Côté enthousiasme, on peut par exemple imaginer la conception de bactéries ou d’algues synthétiques conçues pour capter le CO2 atmosphérique ou pour produire du biocarburant. Côté inquiétude, et si la méthode est efficacement généralisée à des organismes complexes, il n’y aurait pas d’obstacle de principe à produire un être humain dont les gènes ont été sélectionnés un par un sur odinateur avant implantation dans un ovocyte énucléé. De manière moins grandiloquente (car le fantasme ne sert pas à grand chose), et comme l’observe d’une heureuse formule George Church, la biologie synthétique en pleine expansion devra éviter deux scénarios : « la bio-erreur et la bio-terreur » (Church 2010).

Le point sur lequel j’aimerais insister, dans le cadre de ce blog, c’est le triomphe de la conception informationnelle de la vie représentée par l’avancée de Craig Venter et de ses collègues. Ceux-ci l’expriment d’ailleurs clairement dans leur papier : « Notre approche par génomique synthétique se distingue très clairement d’un autre type d’ingénierie génétique qui modifie les génomes naturels en introduisant de multiples insertions, substitutions ou délétions. Ce travail produit une preuve de principe pour la production de cellules fondée sur des séquences génomiques conçues par ordinateur. Le séquençage ADN du génome cellulaire permet le stockage des instructions génétiques de la vie comme fichier numérique ».

Quand Schrödinger formule l’hypothèse d’un cristal apériodique comme support de l’hérédité, il dit en parlant des chromosomes où se trouvent les gènes : « ils contiennent d’une certaine manière le code-script du processus entier du futur développement de l’individu et de son fonctionnement à un état mature » (Schrödinger, 1994, 1992, 21). Quand quelques années plus tard Watson et Crick déchiffrent la structure en double hélice de l’ADN (l’un d’entre eux ayant réfléchi à partir de Schrödinger), ils soulignent que l’organisation proposée produit « un mécanisme de copie du matériel génétique » (Watson et Crick 1953). Et depuis lors, les images du code, de l’information et la copie sont attachées à la génétique.

Il va de soi que six décennies de biologie moléculaire et cellulaire ont complexifié le tableau de l’expression des gènes et de leur rôle relatif dans la développement de l’organisme, mais tout cet édifice emploie néanmoins les mêmes métaphores : les éléments du vivant transmettent de signaux chimiques et physiques par lesquels la vie produit son organisation et ses propriétés émergentes, esprit compris. La bactérie à génome synthétique de Craig Venter représente un aboutissement victorieux de cette méthode d’analyse en même que le commencement prévisible de son extension : la communication entre flux d’information génétique et numérique, avec conception du premier par le second.

« Le code, c’est la loi », a écrit Lawrence Lessig en 2000 à propos de la régulation et de la liberté sur l’Internet. Il me paraît intéressant de réfléchir à cette perspective dans l’ensemble plus vaste du vivant.

Références citées : Church G. (2010), Now let’s lower costs, in Life after the synthetic cell, Nature, doi : 10.1038/465422a (pdf, anglais) ; Gibson DG et al (2010), Creation of a bacterial cell controlled by a chemically synthesized genome, Science, doi : 10.1126/science.1190719 ;
Schrödinger E (1944, 1992),What is life?: the physical aspect of the living cell, Cambridge University Press ; Watson JD, FHC Crick (1953), Molecular structure of nucleic acids: A structure for deoxyribose nucleic acid, Nature, 171, 737-738. 

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