Dans un échange de mail avec Ryan Tate de Gawker, Steve Jobs explique sa position : « Vous ferez plus attention à la pornographie quand vous aurez des enfants (…) Cela ne concerne pas la liberté, cela concerne Apple qui tente d’adopter une position juste pour ses utilisateurs (…) Vous pouvez être en désaccord avec nous, mais nos intentions sont pures ». Cette pureté revendiquée définit en effet le puritanisme, attitude assez rare et incompréhensible de ce côté-ci de l’Atlantique. Des producteurs de X se sont amusés à développer des versions non-Flash de leur site afin que celles-ci apparaissent sans difficulté sur iPhone ou iPad, malmenant la garantie 100% pur-de-cul de la communication d’Apple à destination des enfants terrorisés et des parents concernés.
Une chose est certaine : Apple fait ce qu’il veut sur ses supports et applications propriétaires. Le point le plus étonnant est que les médias européens tressent les lauriers de la tablette d’Apple alors que cette menace permanente de censure les ferait hurler si elle était exercée par quelque régime tyrannique. Il faut croire que les mêmes médias acceptent l’idée d’une information à deux niveaux : leurs abonnés sur l’iPad seront privés de ce qui déplaît à Steve Jobs (aujourd’hui le cul, demain autre chose), les autres non. Curieuse conception de la cohérence éthique pour une profession qui met si souvent en avant sa déontologie…
Pour comprendre la position de Jobs-le-quaker, du moins son arrière-plan, on lira avec profit le dernier essai de Marcela Iacub, De la pornographie en Amérique. On sait que les États-Unis sont la terre d’élection de la liberté d’expression grâce au Premier Amendement de leur constitution – et pour le coup, on regrette de vivre sur la rive liberticide de l’Atlantique. Mais cette liberté connaît une exception de taille : l’obscénité. Par un arrêt de 1973, la Cour suprême des États-Unis a considéré que l’obscénité constitue un message à ce point dégradé et dégradant qu’elle ne peut être considérée comme une expression ou une opinion normale. Elle serait une injonction à la lascivité, relevant du faire plutôt que du dire, donc de la sexualité elle-même et non de la parole. Par exemple, il est interdit de prononcer « fuck » sur une télévision ou une radio non câblée. Cette correction politique du langage public limite donc la liberté selon une certaine conception fonctionnelle de la langue (pas de mauvais esprit dans la lecture de cette dernière phrase SVP).
Le problème est que cette vision fonctionnelle reste mystérieusement centrée sur le sexe. Ainsi, selon l’approche pragmatique d’Austin, on peut penser que parfois « dire c’est faire » et donc que certaines paroles relèvent effectivement de l’action. Si je dis « tuez-le » en désignant une victime à une foule en colère, j'agis plus que je ne parle. Mais la même Cour suprême considère, dans un arrêt de 1969, l’appel au lynchage des Noirs par le Ku-Klux-Klan comme relevant du régime commun de la liberté d’expression. Or, il est tout de même difficile de penser que cette incitation à l’acte violent par un propos haineux diffère ontologiquement d’une incitation à l’acte sexuel par un propos obscène. Cette aporie manifeste la nature profondément religieuse de l’imaginaire américain… dont la censure du X sur l’iPhone et l’iPad est un écho.
Mais on ne doit évidemment pas sous-estimer des arrière-pensées bien moins puritaines et bien plus publicitaires dans la stratégie de Jobs. Comme le relève Tristan Nitot sur le Standblog, le dernier gadget d’Apple n’est absolument pas le synonyme de la geek-attitude technophile et bidouilleuse (au contraire, il est conçu pour limiter au maximum l'appropriation), mais avant tout un terminal mainstream pour ceux qui veulent naviguer sans se prendre la tête. On a moqué l’Ipad comme un Minitel 2.0, mais sa philosophie se rapproche plutôt dans mon esprit de la télévision : le joli écran qui crache sans difficulté des images, du son et un peu de texte quand même, le tout en consommation plutôt passive. Passive mais non lascive, donc, car les braves gens ne consommeront que des contenus estampillés « corrects » par les « intentions pures » de Jobs et ses employés.
Référence citée : Iacub M (2010), De la pornographie en Amérique. La liberté d’expression à l’âge de la démocratie délibérative, Fayard, 332 p.
oui tout ça est surtout commercial ; en même temps je les comprends, y'a beaucoup d'investissements derrière tout ça (surtout marketing j'imagine), et comme la cible est à mon humble avis de type "familiale" alors ils veulent tout contrôler, pour que tout soit bien propre et lisse, surtout pas de poils !
RépondreSupprimerles poils seront boutés hors de l'ipad, foi de Steve Jobs !
(extra) Voilà. En même temps, le navigateur installé (Safari) permet d'aller sur n'importe quel site sauf ceux qui utilisent la technologie Flash, donc la censure des applications ne garantit pas grand chose en terme d'usage supposé "vertueux". Le problème de principe reste qu'un politburo privé va décider des applications correctes ou incorrectes : cette attitude centralisatrice et inquisitrice ne gêne ni le monde du livre, ni celui de la presse puisque loin d'en faire un casus belli, ils plient l'échine, louangent Steve Jobs pour son respect du droit d'auteur et incitent les braves gens à s'équiper.
RépondreSupprimer@ C.
RépondreSupprimerQuelque part il faudrait presque espérer que l'ipad fasse un bide ! Si le net devient comme la tv, ouah super...
A mon humble avis là où il faudra vraiment s'inquiéter ça sera quand google commencera à censurer partout dans le monde (mais j'ai l'impression qu'ils tiennent vraiment à la pluralité du contenu, enfin seul l'avenir le dira...).
(extra) Nul ne peut prédire l'avenir, mais Google a plutôt intérêt à défendre des modèles ouverts et gratuits car son succès s'est fondé là-dessus. Pour l'instant, en dehors d'égarements chinois et d'une tendance à conserver trop longtemps des données de navigation, Google joue cette stratégie assez transparente. Comme pour les mobiles sous Android, il est probable que Google développera des systèmes Open Source pour les tablettes... en accord avec l'objectif d'interopérabilité annoncé par Google Editions. Apple profite de l'indéniable qualité technique (et beauté formelle) de ses produits, mais son choix de fermeture et de contrôle finit par lui coûter. L'étude NPD Group de mai 2010 montre ainsi que les mobiles sous Android ont dépassé en mai dernier les iPhone aux USA.
RépondreSupprimerC a dit ; " selon une certaine conception fonctionnelle de la langue (pas de mauvais esprit dans la lecture de cette dernière phrase SVP)."
RépondreSupprimerPourquoi "mauvais", très bon, au contraire !!! Je ne ferai pas d'esprit, juste des rêves ! Ah ! Censure, ou pas ? Hi!Hi!
Christine
, il est interdit de prononcer « fuck » sur une télévision ou une radio non câblée. BLOGUEUR*********
RépondreSupprimerla phrase correcte: On de doit pas prononcer "fuck" A LA TELEVISION E A LA RADIO.
C'est quoi cette nouvelle manie de mettre SUR partout dans la syntaxe? Je l'ai vu chanter SUR la télévision. Le député a tenu un discours SUR LA TELEVISION (correct). Le député a tenu un discours A LA TELEVISION (correc aussi).
Looved reading this thank you
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