Interdire l'anonymat: la mauvaise idée du sénateur Masson

Le sénateur Jean-Louis Masson vient de déposer une proposition de loi au Sénat à « faciliter l'identification des éditeurs de sites de communication en ligne et en particulier des blogueurs professionnels et non professionnels ». Son objectif : que tous les blogueurs soient obligés de mentionner « leurs nom, prénoms, domicile et numéro de téléphone s'il s'agit de personnes physiques », en accord avec l'article 6-III de la loi du 21 juin 2004 impose aux personnes dont l'activité est d'éditer un service de communication au public.

On imagine aisément les nombreux cas où cette position sera problématique. Par exemple, vous faites un blog très acide sur votre travail, ou votre famille, ou n’importe quelle expérience personnelle, et voilà que vous êtes obligé de divulguer vos coordonnées et données nominatives. Nul doute que votre patron sera ravi de pouvoir découvrir que vous moquez (avec des noms d’emprunt) son incompétence notoire et idem si vous débinez votre famille, si vous évoquez votre orientation sexuelle et plein d’autres choses sur lesquelles vous avez envie de vous exprimer tout en n’ayant pas envie de subir un regard social souvent réactionnaire ou un rapport de force économique souvent défavorable. Mon précédent billet évoquait par exemple les pressions que subissent les laïcs de la part des extrémistes religieux : demain, un blog athée avec nom, adresse et numéro de téléphone  permettrait à tous les intégristes de la Terre de persécuter l’auteur. On peut imaginer qu’une jeune fille subissant le voile et tenant un blog où elle exprime ses pensées hostiles à l’ordre familial sera aisément repérée par cette famille et devra en subir les conséquences. (Et d’ailleurs, on peut raisonner dans l’autre sens, des athées peuvent persécuter un religieux comme cela se fait couramment en Chine).

Le seul argument de Masson est : « il convient de mieux protéger les éventuelles victimes de propos inexacts, mensongers ou diffamations qui sont, hélas, de plus en plus souvent colportés sur la toile. » Or c’est faux, le droit actuel protège les personnes : il suffit d’entamer une procédure auprès de l’hébergeur et/ou du fournisseur d’accès concernant l’information litigieuse. Et dans la plupart des cas, la fonction «commentaires» d'un blog permet aux intéressés de réagir à une information les concernant. Quand Marie Trauman, secrétaire général du Comité développement durable de Hachette Livre, a souhaité répondre à mes propos qu’elle jugeait injustement suspicieux, elle n’a eu aucune difficulté à le faire en commentaire et j’ai publié un addendum dans l’article principal reprenant ses arguments.

Bref, ce projet de loi contre l’anonymat est une machine de guerre supplémentaire dans la volonté de contrôle de l’Internet. Il bénéficiera aux puissants souhaitant user de leur pouvoir d’intimidation contre des individus isolés et il entraînera un déclin de l’écriture dans tous les domaines où ces individus sont susceptibles de subir des persécutions, pressions, harcèlements, menaces en raison de leur orientation philosophique, politique, religieuse, sexuelle ou autre.

A lire également : l'analyse de Numérama.

2 commentaires:

  1. Les gens continueront d'écrire. On ne peut empêcher l'homme d'échanger. Aucune loi ne peut arrêter le "piratage", et aucune loi ne peut arrêter le libre expression. Si les dissident chinois et iraniens y arrivent, les français le peuvent aussi car les techniques permettant l'anonymat sont faciles d'accès. RSF avait d'ailleurs publié un guide du bloggeur cyber-dissident il y a quelques années.

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  2. (anonyme) Oui, sans doute, au prix d'effort et de risque il sera possible d'être libre de son expression. Mais n'est-ce pas justement ce que nous sommes censés éviter, dans une démocratie, cette entrave à la parole, cette pesanteur sur l'esprit ? Je crois comme vous que toutes ces lois seront balayées par l'usage, car elles procèdent d'une incompréhension sur la nature de l'information et sur sa place dans les échanges humains, ainsi que sur le changement apporté par le numérique en ce domaine.

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