La liberté de pensée à l'âge des réseaux numériques

Facebook devient décidément le lieu de toutes les controverses ces temps-ci. Dans le monde musulman, la version tunisienne du réseau social est l’occasion d’une guerre civile d’un genre nouveau entre les extrémistes musulmans et les modérés ou les agnostiques. Les premiers ont profité que des informations privées soient devenues progressivement publiques (grâce aux extensions insidieuses d’exploitation publicitaire des données personnelles par les propriétaires de FB) pour identifier des laïcs, des homosexuels, des femmes hostiles au voile, etc. Et ils ont utilisé massivement la fonction « signalement d’un faux profil » pour obtenir la désactivation automatique des comptes.

Quant au Pakistan, il vient de fermer purement et simplement l’accès à Facebook et à YouTube. Motif : le 20 mai a été désigné par certains utilisateurs comme « journée des dessins de Mahomet ». Tout est parti d’une réaction à chaud d’une dessinatrice américaine (Molly Norris) : elle avait été exaspérée de la censure par Comedy Channel d’un épisode de South Park mettant en scène Mahomet (avec d’autres figures religieuses), cela suite à des menaces d’intégristes. Norris avait alors lancé l’idée d’un concours de dessin de Mahomet, idée qui est devenue un groupe très actif de 100.000 membres. Désolée par l’ampleur de l’affaire, Molly Norris s’en est désolidarisée. On se demande pourquoi : le « respect » d’un dogme ou d’un symbole religieux quel qu’il soit ne concerne que les croyants, et l’irrespect n’est pas encore un crime. Les démocraties seraient cependant plus cohérentes dans leur attitude de principe si elles ne toléraient pas elles-mêmes diverses censures ou menaces (par exemple quand le drapeau, l’hymne, les droits de l’homme, tel épisode historique, etc. sont l’objet d’attitudes irrespectueuses).

Ces épisodes illustrent les stratégies des adversaires de la liberté de pensée et d’expression : soit ils utilisent le réseau pour identifier des cibles (ce qui se fait aussi en Chine), soit ils bloquent purement et simplement son accès. La réponse des partisans de cette liberté est simple : nul ne doit être privé du droit d’exprimer ce qu’il pense. Cette liberté restait formelle quand les moyens d’expression étaient coûteux, à l’âge où seuls les puissants forgeaient l’opinion du grand nombre ; elle est devenue réelle sur le réseau numérique, un site ou un clip pouvant aisément gagner un immense public. Que les puissants utilisent la répression politique (en dictature) ou la menace judiciaire (en démocratie), et que les haineux pratiquent le harcèlement de groupe contre les individus indemnes des préjugés de ce groupe, indique que cette liberté d’opinion et d’expression n’a rien perdu de son pouvoir corrosif au XXIe siècle.

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