Mon iPhone m'a censurer (Mark Fiore ou le retour du syndrome de la pensée unique)

Mark Fiore est un dessinateur américain, premier journaliste web à recevoir le prix Pulitzer dans la catégorie « dessin de presse, voici quelques jours. A cette occasion, on a appris que le dessinateur a été censuré par Apple en décembre dernier. Il ne publie pourtant aucune illustration érotique, mais la firme de Cupertino lui a sèchement signifié que son application aux dessins irrévérencieux pour les grands de ce monde tombe sous le coup de l’article 3.3.14 de la charte Apple pour les développeurs iPhone (et maintenant iPad) : « Une application peut être rejetée si elle diffuse un contenu (texte, graphique, dessin, photo, son) qu'Apple juge désobligeant, par exemple un contenu pornographique, obscène ou diffamant. » Steve Jobs, très ennuyé par cette bévue que le Prix Pulitzer met en lumière, s’est publiquement excusé et a assuré Mark Fiore que son application est désormais la bienvenue.

La nouvelle fait bien sûr le tour du Net. D’autant que ce n’est pas une première (voir ici). Mais comme le rappelle Rue89, la presse française se garde bien de ruer dans les brancards : d’habitude si sourcilleuse en matière de censure, elle préfère tresser les louanges de l’iPad dans des articles qui ne sont pas très éloignés du publireportage. La raison en est que cette presse, souvent exsangue lorsqu’elle est quotidienne ou hebdomadaire (voir par exemple ses joffrinades), n’ayant pas su développer depuis dix ans un modèle informationnel et économique adapté au web, accueille Steve Jobs et sa tablette comme un Messie : par la grâce du support propriétaire à accès payant, les abonnements numériques pourraient décoller.

Oui mais voilà : le cas Mark Fiore vient nous rappeler la différence entre un Internet public et neutre, où tout le monde a accès à des contenus en compétition sur un même plan horizontal, et les supports d’applications propriétaires, où les maîtres des lieux peuvent exercer verticalement leur censure privée en toute tranquillité. Ce qui n’a rien de blâmable en soi, « charbonnier est maître chez lui » – sauf qu’il faut le savoir et le faire savoir : de tels supports privés sont trop souvent présentés faussement comme de nouveaux standards d’accès universels aux contenus numériques. Ce qu’ils ne sont pas, dans le cas d’Apple en tout cas : en dehors du navigateur web (qui exclut par ailleurs certains formats type Flash), les contenus comme les applications sont sous contrôle direct du propriétaire.

Vider l’Internet de sa substance au profit d’une multitude d’accès privés : bon nombre d’éditeurs de contenus n’ayant en tête que la profitabilité à court terme de leurs entreprises et la lutte contre le « piratage » verraient d’un très bon œil cette évolution. On reviendrait en fait aux chers médias à l’ancienne, aussi concentrés que contrôlables.

Ces industriels trouvent des alliés naturels chez une partie du personnel politique, pour qui l’Internet est toujours synonyme de désordre, de danger et de dérive. Et pour cause : dans les vieilles démocraties parlementaires et industrielles, les pouvoirs économiques, médiatiques et politiques s’entendaient fort bien autour d’un équilibre confortable où personne ne remettait réellement son voisin en question et où l’opinion publique se fabriquait au sommet, chez les « élites éclairées » partageant les mêmes intérêts matériels autour des mêmes visions du monde. Ce que l’on avait appelé dans les années 1990 la « pensée unique », une tendance au conformisme et au dirigisme intellectuels qui n’a pas disparu dans les années 2010 et qui trouve dans la pulsion de contrôle de l’Internet l’occasion de rassembler ses troupes éparses. 

2 commentaires:

  1. Peggy sastre ? c'est tout ce que peut récolter le génial Iphone ? une féministe végétaliste ?

    c'est nul et à chier.

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