L'information comme vision du monde

En conclusion d’un chapitre sur les calculateurs et le cerveau, Norbert Wiener souligne : « L’information est l’information, pas la matière ni l’énergie. Un matérialisme qui n’admet pas cela ne peut survivre aujourd’hui » (Wiener 2000, 132). Ce point de vue n’a pas vraiment triomphé pour le moment. Certes, les travaux fondateurs des Turing, Shannon, Neumann, McCulloch, Pitts, et donc Wiener ont fini par produire la numérisation du monde qui forme le basculement le plus étonnant de notre époque, avec comme effet secondaire « l’information » mise à toutes les sauces (société de l’information, économie de l’information, technologie de l’information, etc.). Mais en science, cette information n’est pas réellement constituée ou pensée comme concept physique central au même titre que la matière et l’énergie, comme l’espérait Wiener, malgré quelques prises de position célèbres en ce sens (le « it from bit » de James Wheeler par exemple).

Et pourtant… il existe de l’information. Comme à l’époque de la première cybernétique, l’intuition nous en vient de l’émergence du système nerveux dans l’évolution biologique : un organisme extrait par ses neurones de l’information sur son milieu interne et externe. Par exemple, le rouge est dans certaines circonstances naturelles un indicateur de dangerosité qui influe certains comportements : à la longueur d’onde électromagnétique définissant le rouge pour un type de récepteur sensoriel s’ajoute une propriété supplémentaire dans l’interaction entre un organisme et son milieu. Toutes les cellules échangent des signaux chimiques, mais les neurones semblent spécialisés dans l’extraction et la régulation des informations à travers des mécanismes végétatifs, perceptifs ou cognitifs. L’approche du cerveau comme « organe de traitement de l’information » domine aujourd’hui la théorie de la cognition (par exemple Buser et Lestienne 2001), de même qu'elle sous-tend les théories de l’évolution et de l’hérédité (Avery 2003) et l’exploration structurale-fonctionnelle du vivant en général (Nurse 2008).

Cette propriété est-elle une simple émergence locale du vivant – et tout récemment des machines conçues par lui ? Ou bien l’univers lui-même est-il structuré par de l’information, au-delà de notre approche énergie-matière ou particules-champs-forces ? Ces questions n’ont pas de réponse ferme, mais elles intéressent un nombre croissant de chercheurs (pour des synthèses en anglais, voir par exemple Siegfried 2001, Leff et Rex 2002, Von Bayer 2004 ; en français voir Ségal 2003, Tricot 2008 ; voir aussi les publications du site de Charles Bennett). La raison en est que le paradigme de l’information joue un rôle important dans divers champs scientifiques et technologiques, mais aussi que l’approche quantique de la physique continue d’interroger les limites de son approche classique. Le principe holographique, né de l’observation des propriétés quantiques des trous noirs, est un des exemples les plus connus d’une approche par l’information. Nous allons sans doute retrouver ces questions par un autre angle et dans un proche avenir : la loi de Moore qui soutient l’actuel développement informatique s’achemine vers un niveau atomique de miniaturisation où une théorie de l’information quantique sera nécessaire (Bennett et DiVincenzo 2000). Il ne s’agira pas d’une théorie logique, comme celle de Shannon, mais d’une théorie physique.

L’émergence d’une telle théorie de l’information a de bonnes chances de bouleverser notre vision du monde – notre écriture et notre lecture du monde.

Références : Avery J (2003), Information Theory and Evolution, Word Scientific Publishing ; Bennett CH, DP DiVincenzo (2000), Quantum information and computation, Nature, 404, 247-255 ; Buser P, R Lestienne (2001), Cerveau, information, connaissance, CNRS-Editions ; Leff H, AF Rex (dir) (2002), Maxwell's Demon 2: Entropy, Classical and Quantum Information, Computing, Taylor & Francis ; Nurse P (2008), Life, logic and information, Nature, 454, 424-426 ; Ségal J (2003), Le Zéro et le Un : Histoire de la notion scientifique d'information au 20e siècle, Syllepses ; Siegfried T (2001), The Bit and the Pendulum: From Quantum Computing to m Theory - The New Physics of Information, John Wiley & sons ; Tricot M (2008), Le moment cybernétique : La constitution de la notion d'information, Champ Vallon ; Von Baeyer HC (2004), Information: The New Language of Science, Harvard University Press ; Wiener N. (2000, 1948, 1961), Cybernetics, MIT Press. 

2 commentaires:

  1. J'ai essayé de lire ce post et ce que vous dites n'est pas très clair.

    on ne sait même pas ce que vous entendez par information par rapport à la matière (moi je sais, mais tous vos merdeux de lecteurs n'y pigent rien.)

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  2. c'est marrant, j'avais la niaiserie de croire que vous étiez au delà de toutes ces sornettes positivistes.

    je vois que vous êtes du même niveau.

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