Un "Bookify" pour éviter le piratage? La question des bibliothèques numériques

Une des solutions provisoires trouvée aux problèmes du droit d’auteur dans le domaine musical, ce sont des sites légaux comme Deezer ou Spotify qui permettent l’écoute en flux de lecture continue (streaming) de plusieurs millions de titres musicaux, soit gratuitement (moyennant publicité et basse qualité), soit sur abonnement (sans publicité et en meilleure qualité). Les majors de l’industrie musicale souhaiteraient plutôt voire disparaître l’offre gratuite (par exemple ici, propos d’Edgar Bronfman de la Warner, les Etats-Unis étant cependant en retard et donc en décalage sur les Européens pour cette voie), mais elles considèrent l’abonnement comme une solution viable pour tout le monde, et ayant à terme un potentiel de marché bien plus large que l’achat à l’unité de type iTunes.

On peut se poser la question : une telle solution sera-t-elle envisageable dans le monde du livre ? Après tout, il existe déjà des bibliothèques publiques où, gratuitement, nous pouvons lire des nouveautés papier. (Ce n’est pas tout à fait gratuit en réalité, puisque l’Etat à travers nos impôts reverse aux auteurs une certaine somme, cf loi sur le droit de prêt). Il serait logique de voir émerger des bibliothèques numériques privées ou publiques construites sur le modèle du streaming musical. Si les ressources publicitaires sont insuffisantes ou inadaptées pour la gratuité, et si le modèle payant s’impose, l’Etat pourrait intervenir pour prendre à sa charge l’accès des personnes les plus démunies selon un seuil de revenu à fixer.

Pour le lecteur, l’avantage serait évident : il trouve directement la majeure partie de la production de l’édition numérique sur un même site. Pour l’auteur, il en va de même : on limite la tentation du piratage de son texte (dans l’hypothèse où il refuse de le mettre en libre accès hors commerce), et des droits peuvent être reversés en exacte proportion des téléchargements de son livre. Accessoirement, les auteurs auto-édités pourraient placer leurs textes à égalité avec les autres. Pour l’éditeur… eh bien, je ne suis pas sûr que la solution soit très enthousiasmante pour la profession puisque pour l’instant, je ne l’ai vue évoquée nulle part, même à titre de lointaine hypothèse de travail (un article du Guardian de décembre 2009 parle d’une idée semblable, « Bookify », dans une perspective un peu différente, mais sans mention d’un professionnel de l’édition ; le récent Schéma numérique des bibliothèques de Bruno Racine n’évoque pas du tout cet angle de la question ; si un de mes lecteurs a une information, merci d’avance).

Un problème est évidemment que l’éditeur comme l’auteur doivent dans cette hypothèse accepter que le livre numérique ne coûte pas grand chose – sinon l’abonnement, même proportionné au téléchargement, serait vite hors de prix. L’abonnement à Spotify coûte par exemple 10 euros par mois, et cela permet d’accéder quand on veut à 6 millions de titres (actuellement). Mais de toute façon, le livre numérique conduira à une forte pression vers la baisse des prix, on sait que c’est la principale critique des consommateurs aujourd’hui. Un autre problème est que certains livres de bibliothèque sont simplement consultés pour un besoin précis (essais, guides pratiques, manuels, etc.), donc que l’évaluation de l’usage n’est pas évidente.

On verra bien ce qu’il en adviendra. Il reste que pour le lecteur de livre numérique aujourd’hui, l’éparpillement des sources et des formats est pénible, il le deviendra plus encore demain. La prime ira donc aux plateformes capables de proposer les solutions les plus simples et les plus universelles. Sera-t-on obligé de passer par un nouvel épisode Napster – un peer-to-peer considéré comme « piratage » par les professionnels – avant d’y parvenir ? La réponse est pour bientôt.

Ajout : voir sur le même thème les décisions du Conseil du livre (22 mars 2010), échanges sur les bibliothèques numériques dans le cadre du Salon du livre (eBouquin, 26 mars 2010).

15 commentaires:

  1. -Un problème est évidemment que l’éditeur comme l’auteur doivent dans cette hypothèse accepter que le livre numérique ne coûte pas grand chose – sinon l’abonnement, même proportionné au téléchargement, serait vite hors de prix. -

    Il n'y a aucun raison pour que le livre ne coûte pas grand chose,
    Un livre c'est forcement assez cher.
    L'idée que le consommateur (il ne s'agit plus vraiment de lecteur mais bien de consommateur), veuille toujours du moins cher n'a ni sens ni fondement. Il y a déjà tellement de façon de lire gratuitement, qu'il est franchement inutile de s'attaquer à la production même du livre, en demandant le toujours moins.

    Les comparaisons avec les autres mode de création est assez stérile et répand un grand nombre de contresens.

    N'oubliez pas une chose à propos du livre, il s'agit d'un objet analogique, le livre virtuel ne peut se mesurer qu'à du virtuel, et non à de l'analogique.

    RLZ

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  2. (RLZ) "Un livre c'est forcement assez cher."

    Pourquoi ?

    "L'idée que le consommateur (...) veuille toujours du moins cher n'a ni sens ni fondement"

    Ben si d'après les enquêtes citées par Bruno Racine et l'ensemble des enquêtes sur les contenus numériques du web. Expliquez-vous plutôt que d'asséner.

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  3. De toute façon,
    Il ne s'agit que de cela,
    Assener,
    Ce blog assène la même rengaine sur chaque billet.

    Je peux bien sûr expliquer,
    Les consommateurs ont des aspirations,
    Le toujours moins cher,
    C'est connu.
    Mais faut-il les suivre ? je ne crois pas, ils n'aiment le moins cher que chez les autres. Donc le tout moins cher sauf ma paye, n'est possible que si la consommation explose et uniquement sur des produits débarrassé des coûts de production.
    Cela n'est pas réaliste.
    Et je n'y crois pas, le livre reste à une consommation de 1 à 3 livres par mois chez les bons lecteurs, cela ne va pas changer, et il nous faut les recettes de ces 1 à 3 livres.
    Il y a des quantités de désir de consommateurs qu'il ne faut surtout pas réaliser.
    Si les livres semblent cher dans cette société trop riche, c'est juste parce que d'autres dépenses (inutiles) arrivent en concurrence avec un marketing de première force.

    A nous de savoir faire de même,
    Ou sortons du système économique,
    Comme le théâtre subventionné.

    RLZ

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  4. Vous prenez le problème bizarrement. D'abord, les éditeurs eux-mêmes conviennent qu'ils pourraient vendre moins cher que ce qui se pratique (cf. propos d'Alban Cerisier, directeur du développement numérique chez Gallimard, in le Monde 10.02.10). Ensuite, le lecteur-consommateur ira en partie au moins cher comme partout ailleurs, pas massivement parce qu'il tient souvent à "ses" auteurs, mais on verra changer la répartition paretienne 80/20 – voire 90/10 d'après ce que dit l'éditeur Leo Scheer sur son blog. De moins en moins de gens paieront plein pot, ils auront de plus en plus de choix en auteurs comme en prix, donc les ventes ou lectures vont s'étioler dans une longue traîne qui favorisera de plus en plus les livres les moins chers, voire gratuits. Enfin, le livre est cher je trouve (j'y consacre une à trois centaines d'euros par mois en ce qui me concerne) et quand il sera dématérialisé dans le "cloud" du net, ce sera encore plus évident, on ne paiera pas 10, 15 ou 20 euros pour un seul fichier électronique.

    Enfin, vous ne répondez pas au sujet de cet article, qui consiste à débattre d'une solution possible : si, comme moi, vous êtes abonné à une bibliothèque publique, vous pouvez lire des nouveautés sans rien débourser (hormis indirectement par la fiscalité). Oui ou non faudra-t-il un système de bibliothèque publique numérique? Pourquoi le sujet n'est pas déjà abordé par les éditeurs? (Bibliothèque "subventionnée", pourquoi pas, de toute façon le livre est déjà soutenu par l'Etat de diverses manières, comme la presse).

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  5. -Enfin, le livre est cher je trouve (j'y consacre une à trois centaines d'euros par mois en ce qui me concerne) et quand il sera dématérialisé dans le "cloud" du net, ce sera encore plus évident, on ne paiera pas 10, 15 ou 20 euros pour un seul fichier électronique.-

    Le problème n'est pas le prix du livre,
    Mais les ressources du monde du livre.
    Comme je ne crois pas à une croissance type startup,
    Je préfère une stabilité des prix.

    Mon budget livre tourne entre 1 et 2 KEuro mensuel, et je ne vais jamais en bibliothèque.

    RLZ

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  6. "les ressources du monde du livre"

    C'est en effet de cela qu'il s'agit. Quelle piste proposez-vous? Vendre le livre numérique au même prix que le livre papier?

    "je ne vais jamais en bibliothèque"

    Certes, mais ces bibliothèques comptaient en France environ 8 millions d'inscrits en 2007, représentant des dizaines de millions de documents prêtés. L'avenir du livre se réfléchit à partir de ses pratiques sociales actuelles, non? Ou alors seul vous intéresse votre point de vue, "une stabilité des prix" décrétée comme préférence, mais il s'agit d'une préférence individuelle qui ne s'argumente pas tellement au-delà de son énonciation obstinée.

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  7. Je crois que vous avez beaucoup de mal à lire entre les lignes.

    Je n'ai jamais affirmé ni qu'il ne fallait pas fréquenter les bibliothèques, ni qu'il ne fallait pas changer de modèle économique.

    Mais si nous sommes bien conscient que le nombre de livres lus ne peut pas changer de façon importante, et que notre morale n'est pas d'accord avec l'idée de vendre des livres qui ne seraient pas lu, il faut bien convenir que la stabilité des revenus est la seule issue.

    Ce qui nous donne un ratio papier/numérique de l'ordre 100/80, mais pour le consommateur, un PdF à 80 Euro ou un Livre papier à 100 Euro ne laisse pas beaucoup de chance au PdF.

    Nous avons panoplie de PdF téléchargeable gratuitement sur notre site internet, certains titres ont été téléchargé 100 000 fois !!!
    Personne ne nous a proposé de payer quoique ce soit et le livre correspondant se vend à 2000 ex par an, et pas par internet.

    Vous avez donc raison internet=gratuit, c'est pour cela qu'il ne faut pas y aller. En tout cas pas pour remplacer le papier.

    RLZ

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  8. En effet, je lis difficilement entre les lignes (je crois qu'elles ont été inventées pour cela, entre autre chose, être lues pour dissiper les malentendus).

    Votre conclusion : alors n'y allez pas ! Le monde papier peut tout à fait envisager une résistance acharnée contre la numérisation (ce que B. Racine envisageait comme hypothèse, certes improbable). Mais l'issue est douteuse pour des tas de raisons ; d'ailleurs, pourquoi proposez-vous des pdf gratuits sur Internet? (C'est-à-dire, pour ne pas lire entre les lignes, pourquoi vous plaignez-vous du succès des pdf gratuits alors que ce succès est prévisible?)

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  9. Cette proposition d'un "Bookify" n'est-elle pas une transposition de la "licence globale" naguère proposée pour rétribuer les auteurs d'oeuvres audiovisuelles ? Tant qu'à faire, je préfère la solution type Mécénat global, qui permet de donner moins de sous aux marketeux (pour en donner plus aux oeuvres jugées de qualité).

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  10. -(C'est-à-dire, pour ne pas lire entre les lignes, pourquoi vous plaignez-vous du succès des pdf gratuits alors que ce succès est prévisible?)-

    Le entre les lignes n'est pas votre fort.

    Je ne me plains de rien, je teste en vrai grandeur les différents aspects du système, ce qui me permet d'avoir un avis tiré de mon expérience et non de vagues études publiées dans la presse.

    Ce que je note, c'est que vous n'avez aucune réponse à l'équation économique posée plus haut.

    Nombre de titre lus stables ou en légère hausse,
    Besoin en marge brute, stable,
    Proposition de baisse de prix public sans compensation,
    D'où viendront les ressources manquantes ?

    Il vous reste le marketing pour vendre des trucs inutiles,
    C'est ce que vous voulez ?

    RLZ

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  11. (anonyme) Cette "proposition" n'en est pas une, juste une manière d'avancer la réflexion sur la numérisation du livre en suggérant une piste parmi d'autres. En effet, cela ressemble un peu à la licence globale dans sa version optionnelle (sur un besoin défini et en fonction du téléchargement) plutôt qu'universelle (on taxe l'abonnement Internet et tout est libre ensuite).

    (RLZ) Pour rester sur le livre, il y a deux choses :
    • l'économie du gratuit (voir Anderson et le débat qu'il a suscité, je n'entre pas dans le détails... "vendre des trucs inutiles", certes, mais qui décrète l'utilité de ces trucs, vous? Par exemple, payer pour écouter une conférence d'un auteur, est-ce inutile?) ;
    • la baisse du prix public. Cette dernière tient d'abord à la baisse des coûts de production et de diffusion dématérialisées que vous oubliez dans votre équation. A combien estimez-vous l'économie relative réalisée dans les deux cas suivants : 1000 lecteurs en 1000 endroits différents disposent d'un livre papier, idem d'un livre numérique ? (Et en option : si vous diffusez ce livre numérique de votre plateforme, c'est-à-dire sans les 30% obligatoires de marge distributeur que prennent Amazon ou Apple?) Cette question est une pure curiosité, n'y voyez pas de malice ou de suspicion, vous semblez avoir étudié la question, donc vous avez une idée du coût de revient dans le système papier et dans le système numérique.

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  12. -Par exemple, payer pour écouter une conférence d'un auteur, est-ce inutile?--

    Je parlais de vrais trucs inutiles comme sait en inventer le marketing,
    Et je n'ai pas l'intention de les définir, vous voyez très bien de quoi je parle.

    --A combien estimez-vous l'économie relative réalisée dans les deux cas suivants : 1000 lecteurs en 1000 endroits différents disposent d'un livre papier, idem d'un livre numérique ? (Et en option : si vous diffusez ce livre numérique de votre plateforme, c'est-à-dire sans les 30% obligatoires de marge distributeur que prennent Amazon ou Apple?) Cette question est une pure curiosité, n'y voyez pas de malice ou de suspicion, vous semblez avoir étudié la question, donc vous avez une idée du coût de revient dans le système papier et dans le système numérique.--

    mes livres se vendent 32 euro au public
    La distribution et la diffusion et la vente me coûtent 16,7 Euro
    Le print me coûte 4 euro.
    La TVA me coûte (coûte au lecteur) 1,76 Euro
    Il me reste 9,63 Euro pour faire tourner la boutique hors print.
    Reste à évaluer le coût du teasing sur le net.

    Donc mon livre à 32 euro en papier rendu en librairie,
    Peut se distribuer à 16 Euro sur le net via Amazone ou Apple.

    RLZ

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  13. Merci de votre réponse. C'est intéressant parce que vous semblez à 50% de ristourne possible numérique/papier (et c'est ce qu'attendent les lecteurs d'après les études de marché). Si vous pouviez vous passer d'Amazon/Apple, cela pourrait même baisser éventuellement à 70% en vente directe depuis votre site. Donc problème du piratage ou de la concurrence gratuite mise à part, vos lecteurs devraient s'y retrouver (dans une situation hypothétique où les readers dominent les livres).

    Cela dépend bien sûr du secteur. Vous parliez de temps de lecture disponible, mais si je prends mon cas, ce n'est pas une limite à mes achats : j'achète un grand nombre de livres d'art, d'essais et de manuels que je compulse quand j'en ai le temps, l'envie ou le besoin, souvent sur des chapitres précis (pour les essais, manuels, guides), cela n'a rien à voir avec la lecture du début à la fin d'un roman (moins de 20% de mes achats). Je sais que si le prix baissait de moitié, j'achèterais deux fois plus.

    Là très concrètement, comme j'ai décidé de creuser la question de la propriété intellectuelle, j'ai une liste d'une bonne quarantaine d'ouvrages français ou anglo-saxons qui m'intéressent, mais dont le coût papier doit sans doute avoisiner les 1500 euros (ce sont souvent des ouvrages spécialisés universitaires). Et d'un je n'ai pas cette somme, et deux acheter les 40 m'intéresse même si je n'utilise parfois que 20% du contenu, et de trois les fonctions de recherche et de copier-coller d'un livre numérique me seraient utiles. Cet exemple pour dire que l'on aborde toujours les questions avec ses propres calculs, besoins, désirs (et que le prix est ici un obstacle concret à la circulation de pensées qu'il me plairait de connaître et de commenter).

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  14. Je travaille dans le monde des "beaux-livres" ce que l'on appelle aussi le livre d'art. J'en fabrique et bien sûr en vend, mais j'en achète aussi.

    Le livre d'art en PdF, je ne suis pas sûr que cela me plaise, mais je peux essayer d'en vendre.

    Si le livre d'art était moins cher, on vendrait plus ?
    J'en suis sûr, mais si le moins cher c'est un PdF, je ne suis plus sûr du tout.
    J'ai du mal à imaginer ma bibliothèque sur forme de PdFtèque.
    Celle-ci se compose de 4 parties sans doute égales en nombre, Livres d'Art, Roman (classique et policiers), Revue d'Art, BD.

    Personnellement les prix bas ne me choquent pas du tout, mais je cherche l'équilibre en temps qu'éditeur, je ne cherche pas à être un MoneyMaker.

    RLZ

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  15. Pour le livre d'art, vous me compterez comme client pour un certain temps encore :-) Car je vois par exemple sous mes yeux mon beau coffret Sarah Moon acheté 120 euros, je ne l'aurais pas acquis même 12 euros en ePub pour le lire sur un Kindle, c'est l'objet qui m'intéresse, le papier, le toucher, le grain des reproductions photo, etc.

    En revanche, mon "Communication Power" (M. Castells) acheté 32 euros, lourd, encombrant, dont les 2/3 des considérations seront périmées dans un an... eh bien j'aurais préféré une version numérique à 16 euros !

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