ACTA est

Séjour rapide à Londres (où le routeur wi-fi de l’hôtel était planté), bouclages alimentaires divers, projet en cours… le temps me manque ces temps-ci. Un mot rapide sur une actualité qui vient éclairer les enjeux immédiats des réflexions sur la propriété postées en début de semaine : la prochaine réunion d’ACTA se tiendra le 22 mars prochain (ZDNet). Cela ne vous dit rien ? C’est ennuyeux, parce que les conciliabules d’ACTA devraient décider ce que vous pourrez faire et ne pas faire sur l’Internet dans les prochaines années.

L’acronyme ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) désigne un accord commercial et international en cours de négociation, destiné à protéger la propriété industrielle et intellectuelle.  Son but est de renforcer les mesures déjà existantes dans le cadre de l’ADPIC (Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, OMC), parallèlement au projet SECURE de l’Organisation mondiale des douanes. Les réunions d’ACTA se déroulent depuis octobre 2007 – celle de mars prochain sera le huitième « round » formel de débat.

Qu’un tel accord voit le jour, pourquoi pas sur le principe ? Tout dépend bien sûr de son contenu, avec de nombreux points problématiques quand l’Internet est concerné : obligation de contrôle par les fournisseurs d’accès, imposition d’un numéro d’identité numérique, DRM, déclin de l’interopérabilité et soutien artificiel aux formats/supports propriétaires…

Mais le problème d’ACTA est d’ores et déjà la méthode. Dans une ambiance de plus en plus répressive dont témoignent en France certaines dispositions des lois Hadopi et Loppsi, il est actuellement impossible aux citoyens d’accéder aux contenus des discussions en cours. Des extraits de textes de travail ont émergé grâce à des fuites, mais les gouvernements se refusent à communiquer les compte-rendus des débats, malgré leur obligation de garantir aux citoyens l’accès aux documents administratifs (et malgré un vote du Parlement européen en ce sens). Plusieurs élus ont fait état de leur difficulté à obtenir ces documents ou à être conviés aux négociations, de même que plusieurs associations de défense des libertés numériques ont porté plainte en Europe ou aux États-Unis. Les industriels n’ont pas les mêmes difficultés, dont les représentants sont à l’origine de la démarche.

Le choix du secret augure mal de l’avenir : les internautes sont à l’évidence tenus en l’état de minorité, incapable de se gouverner elle-même, devant attendre qu’un législateur omniscient et omnipotent plaque sur leur réseau les règles bienveillantes qu’il aura concoctées. Ce schéma mental est un invariant des politiques autoritaires et « verticales ». C’est l’exact contraire de l’esprit d’Internet, la générativité ascendante, où l’on suppose que face à une quelconque problématique donnée, quelques bonnes idées pourront émerger au terme d’une sélection informationnelle des réflexions du plus grand nombre possible.

Le plus inquiétant reste l’inertie des internautes – à commencer par l’absence de débats. Imaginez que l’Union européenne ou l’ONU tienne dans le plus grand secret des réunions dont les conséquences à terme pourraient être une privatisation de toutes les voies de transports terrestres, maritimes et aériennes, une obligation de présenter votre pièce d’identité à des péages désormais présents partout sur son chemin, une interdiction d’emprunter certaines voies que vous aimiez bien mais dont la destruction est programmée, une surveillance de principe de chacun de vos déplacements… cette incroyable menace sur votre liberté serait assurément perçue comme les prodromes d’un régime totalitaire. Mais quand tout cela concerne la circulation et la découverte dans l’espace numérique, nous restons impassibles.

Je retiens comme hypothèse optimiste et provisoire que l’inertie des hommes tient à la nouveauté de ces enjeux politiques et civilisationnels, à la difficulté de se les représenter, à l’ignorance de leur portée concrète comme de leur importance théorique. Que le combat pour les libertés ne fait donc que commencer comme il recommence toujours, que l’insurrection des esprits numériques face à l’arrogance et à la bêtise de l’ancien monde physique est à venir. Je n’abandonne cependant pas une conjecture plus pessimiste, pour laquelle la masse humaine cherchera toujours la confortable, la douce, la rassurante et finalement la volontaire servitude…

« Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire…. » (Contr’Un, Discours de la servitude volontaire, La Boétie, 1574).

5 commentaires:

  1. Et oui !

    Et pour confirmer ces craintes, quelques liens que j'ai dejà postés sur ma page FB (dans l'indifférence générale, comme on peut s'y attendre de nos pairs ovins) :

    - Changement de stratégie pour l'IIPA (Alliance Internationale pour la Propriété Intellectuelle) : Quand encourager l'Open Source pour un Etat revient à le placer sur la liste noire des US (liste 301 sur le copyright) parce qu'il « affaiblit l’industrie du logiciel » et « ne contribue pas au respect des droits relatifs à la propriété intellectuelle ».
    http://www.guardian.co.uk/technology/blog/2010/feb/23/opensource-intellectual-property

    Extrait de la recommandation pour classement de l'Indonésie au sommet de la liste 301 (tout comme l'Inde et le Brésil qui encouragent également l'open source, les plaçant à égalité avec des pays de contrefaçon comme la Russie ou la Chine) :

    « La politique du gouvernement indonésien (…) affaiblit l’industrie du logiciel et sabote sa compétitivité à long terme en créant une préférence artificielle pour des sociétés qui proposent des logiciels open source et des services dérivés, et va même jusqu’à refuser l’accès du marché gouvernemental à des entreprises reconnues.

    Au lieu de promouvoir un système qui permettrait aux utilisateurs de bénéficier de la meilleure solution disponible sur le marché, indépendamment du modèle de développement, elle encourage un état d’esprit qui ne reconnaît pas à sa juste valeur la création intellectuelle.... Afficher davantage

    Ainsi, elle échoue à faire respecter les droits liés à la propriété intellectuelle et limite également la capacité du gouvernement ou des clients du secteur public (comme par exemple les entreprises nationales) à choisir les meilleures solutions. »

    Si c'est pas beau !

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  2. - Rapport McKinsey (leader mondial en management consulting) : L'Internet of Things arrive !

    http://www.mckinseyquarterly.com/The_Internet_of_Things_2538

    Et avec lui l'injonction aux corporations d'adopter de nouveaux business models (et de nouveaux moyens de nous surveiller).

    Ou, quand tous les produits de votre vie quotidienne se connecteront à leur fabricant pour l'informer de vos habitudes, du nombre de fois que vous les utilisez etc (pour adapter le prix à votre usage, ou vous refuser la couverture de vos soins dentaires pour défaut de d'utilisation du fil dentaire etc)

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  4. - Google anticipe le risque d'être dépassé par le 'nouveau Google', ou "Comment la crainte de l'avènement du 'tout-propriétaire' devient de plus en plus réelle chaque jour".

    http://www.siliconrepublic.com/news/article/15446/business/in-three-years-desktops-will-be-irrelevant-google-sales-chief

    “In three years time, desktops will be irrelevant. In Japan, most research is done today on smart phones, not PCs,” Herlihy told a baffled audience, echoing comments by Google CEO Eric Schmidt at the recent GSM Association Mobile World Congress 2010 that everything the company will do going forward will be via a mobile lens, centring on the cloud, computing and connectivity."

    “The fear is the next Sergey and Larry will come up with a disruptive technology or service that will eliminate the need for Google. That spurs us on to deliver the best quality return on investment to advertisers in an open and transparent partnership that works for them.

    “There is a tremendous opportunity for entrepreneurs to end the need for Google. It’s our challenge not to let that happen by continuing to drive innovation and value.”

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  5. Merci de ces références, dont certaines me sont très utiles pour mon travail en cours sur la propriété (j'ai supprimé le doublon).

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