Le système papier (et sa dissidence)

En lisant et commentant chez Wrath, Leo Scheer ou ailleurs, je me pose toujours des questions sur le phénomène « livre-papier » – pourquoi tant de gens accordent tant d’importance au fait d’être publié sous cette forme-là. Et pourquoi j’en accorde peu, de moins en moins.

J’ai écrit un certain nombre de livres papier, sous mon nom, sous pseudonyme ou anonymement pour des tiers, seul ou en collaboration. Je suis encore en train d’en écrire un (enfin je devrais, mais je suis bloqué présentement, aucune motivation, alors j’écris ici). Et pareillement, j’ai publié beaucoup d’articles papier sous divers noms et dans divers supports, de presse ou autres. Plusieurs milliers d’articles sans doute, de la brève de dix lignes au dossier de dix pages, depuis plus de vingt ans. Je mérite le nom de pisse-copie, mes activités prostatiques et scripturaires ont sensiblement le même débit. Vous en subissez ici une petite partie.

Au final, je suis indifférent. Je n’ai même plus d’exemplaire de certains livres, je ne sais pas trop où sont les autres. Les articles n’en parlons pas, je n’ai rien conservé en papier. Tout cela a fini et finira dans la benne à ordures.

La discontinuité de mes noms et le choix tendanciel d’une écriture de plus en plus anonyme m’empêchent d’accumuler du capital culturel et relationnel. Donc de prétendre à la reconnaissance. Tout au plus aimerais-je avoir l’aisance matérielle de ne faire que cela – lire, penser, écrire dans des directions qui ne soient pas imposées par des tiers. C’est donc une des motivations que j’arrive à partager dans le système du livre-papier : ceux qui ont le pot et le talent de faire un best-seller vivent ensuite d’une rente, et ce doit être bien agréable, ma foi. (Mais peu d’espoir : la probabilité du best-seller est très faible et l’écriture pour l’édition est la moins rentable de toutes, elle vous prolétarise à coup sûr). Une autre motivation est que certains livres sont beaux et rares comme objets, mais c’est peu fréquent, la plupart sont des produits industriels sans aucun intérêt intrinsèque, même les bouquinistes ont du mal à les vendre 50 centimes.

Inversement, il y a plein de choses que je n’aime pas dans le système du livre-papier. Je n’aime pas sa concentration parisienne et germanopratine, je n’aime pas sa bourgeoisie héritière ou parvenue, je n’aime pas ses mœurs de pince-fesses ou de clubbing, je n’aime pas ses relations serviles aux médias de masse, je n’aime pas ses éditeurs qui croient avoir de meilleures idées que vous, je n’aime pas ses salons pour petits troupeaux provinciaux, je n’aime pas ses libraires qui pètent trop souvent plus haut que leur cul, je n’aime pas ses représentants qui pensent par fiches, je n’aime pas ses critiques consanguins et moutonniers. Désamour plus ou moins marqué, dans certains cas de vraies phobies, dans d’autres une simple indifférence. Portrait de groupe évidemment injuste, dans chaque catégorie il y a des gens formidaaaaables, je le sais. Mais dans l’ensemble, puisque « système » il y a, ces gens me font chier, je n’ai ni le sentiment ni l’envie d’appartenir à leur monde, leur seule justification d’existence à mes yeux est celle de sortir du fumier quelques auteurs et quelques œuvres, au prix (très élevé) de tout le reste. (Bien sûr, comme les quelques auteurs et œuvres en question diffèrent d’un lecteur l’autre, le système se trouve vaguement justifié).

Tout cela pour dire qu’au cours de cette décennie 2010, et dans l’hypothèse où je parviendrais à achever un écrit personnel, je compte finalement tester de nouveaux modèles d’édition, en rupture avec ce monde. C’est la logique de mon existence. Je n’ai sans doute pas grand-chose à y gagner, mais au moins rien à y perdre. Et cela rend libre.

17 commentaires:

  1. J'aime toujours autant vos joyeuses considérations.

    Je crois que dans l'"attachement" quasi général au livre-papier, il y a, outre une dimension affective et éventuellement une ignorance des possibilités des supports à venir (la plupart des inconditionnels du livre avec qui j'en parle en sont restés à l'image d'un e-book lourd, rigide et qui fait mal aux yeux), un certain pragmatisme, sur le mode: "en attendant du nouveau, voyons ce qu'on peut faire avec le système existant". Parce que certes un livre papier lambda est peu visible, peu commenté et peu lu, mais a priori toujours plus qu'une oeuvre hasardée sur du numérique; la crédibilité n'est pas encore la même, c'est le moins que l'on puisse dire. Alors évidemment on va parler des premiers romans qui "sortent" directement sur i-phone, en feuilleton (10 000 téléchargements pour la première partie de celui dont j'ai entendu parler) _ mais il s'agira plutôt d'oeuvres de "divertissement" lisibles "en mouvement" et qui se prêtent à un découpage séquentiel efficace (comme les thrillers); je vois mal des essais un tant soit peu pointus ou de la littérature générale dans cette configuration. Pour l'instant.
    Il n'empêche que vous avez certainement raison sur le long terme. Merci d'ouvrir la route :)Mais je m'interroge sur les réels bienfaits, du point de vue de l'auteur, de cette révolution en marche: en dépit de la suppression d'un certain nombre d'intermédiaires (les libraires par exemple), il n'y aura pas pour autant suppression du système, avec tous les aspects que vous détestez: il faudra bien une sorte de "promoteur" pour qu'une oeuvre soit visible parmi des milliers d'autres sortant presque simultanément, et une sorte d'"autorité" intellectuelle pour évaluer et faire connaître la valeur de l'oeuvre au milieu des milliers d'autres visibles. Ils ne s'appelleront peut-être plus "éditeurs" ou "critiques" et ils ne siègeront pas forcément dans un périmètre parisien restreint, mais ils seront bien là d'une façon ou d'une autre, avec toutes les communautés et chapelles qui accompagnent toujours diffuseurs et prescripteurs. Non?

    En ce qui concerne "la discontinuité" de vos noms et votre "choix tendanciel d'une écriture de plus en plus anonyme", je dois dire que vous êtes pour moi une chimère, ou un prodige :)

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  2. Juste une remarque, j'adhère plutôt aux termes de l'article, me retrouvant assez dans le portrait tracé, mais ce que vous désignez par "salons pour petits troupeaux provinciaux" m'échappe. Le "provinciaux" m'apparaît de trop, voire erroné.

    Mon appréciation est qu'en dehors du territoire de Paris, ce que vous décrivez n'a pas d'existence, en revanche, sur Paris, le concept de "salons pour petits troupeaux" est parfaitement approprié, même si les petits troupeaux considérés sont convaincus d'échapper à cette qualification, et d'avoir la fibre, la vraie, "seuls contre tous".

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  3. Cher Marco,

    Toujours plein de choses dans vos commentaires, et plein de choses justes!

    Pour les formats électroniques, ils sont encore un peu immatures quoiqu'en rapides progrès. J'ai achevé la "Récidive" de Duvert, chez Minuit, en me disant que j'aurais pu le lire sur iPhone : forma très court, écriture se prêtant aux pauses – pour l'écriture (mais pas le format), idem pour Ellroy, de courts chapitres, un choix de "répétition" qui permet de lire demi-heure par demi-heure, voire moins, je trouve. Je n'en dirai pas autant de "Somnolence" (Martinet) que je commence et dont l'écriture dense sur un format long ne se prête pas forcément à l'e-book. Au-delà de l'iPhone, je vais m'équiper dans l'année (j'attendais la tablette d'Apple mais je suis un peu déçu, je vais tester les formats du marché et surtout analyser les catalogues).

    Pour les méfaits du système actuel, je pense qu'il va s'effondrer et j'y reviendrai dans un autre post. Ce ne sera pas sous l'effet des coups de boutoir de Wrath ;-) mais, comme cela a commencé pour la musique et le cinéma, par disparition des supports publicitaires du cpoté des manipulateurs d'opinion (télé, radio et presse mainstream souffrent, je n'ai guère de compassion) et par incapacité à justifier la rareté artificielle du papier.

    Quant aux méfaits du système à venir, je ne doute pas qu'ils seront nombreux! J'espère simplement qu'il sera plus éclaté, plus imprévisible, plus accessible, et que les bons livres auront un peu plus de chances de creuser leur sillon (ou que les mauvais feront un peu moins illusion). Un peu comme le cinéma : de nombreux observateurs ont souligné que depuis quelques années, le buzz internet coûte cher à certains blockbusters hollywoodiens qui, malgré la présence de stars et le marketing agressif, faiblissent dès le deuxième jour en salle, victime d'une mauvaise critique des premiers spectateurs. Eh bien si les romans et essais deviennent (presque) égaux face au buzz, cela redistribuera certaines cartes !

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  4. (Anonyme)

    Vous avez sans doute raison. J'avais en tête deux choses en écrivant cela : que le salon du livre parisien attire des provinciaux (peut-être une illusion de ma part, parce que j'ai entendu un groupe à l'accent berrichon ou provençal, à l'époque où je m'y rendais), et que les salons de province, comme ceux que je fréquentais lorsque je vivais à la campagne, me donnaient une forte envie de mourir. C'est pour cela que "salon" déclenche dans mon cerveau l'image de "provincial". De façon probablement injuste, je dois réfléchir à un substitut :D

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  5. Le Salon du Livre, pour moi, c'est comme la Salon de L'Auto, de l'Agriculture ou ... des événements justifiant la sortie de la semaine, et l'achat d'un livre qu'on se fait dédicacer par un auteur dont on avait jamais entendu parler 15 minutes plus tôt. On peut approcher la notoriété de près quoi et participer à un événement à portée nationale que tous les médias en parlent. Le public est de toutes origines, mais je ne crois pas que cela soit connecté à un "milieu littéraire", plus à la logique des hypermarchés avec une note de bling bling.

    J'ai entendu parler de clubs de lecture en province (de l'église, du rotary, du lions etc), mais des "salons", pas réellement. Ce que vous décrivez dans votre billet est une réalité avant tout parisiano-parisienne, la "province" n'a pas son mot à dire, la "province" n'existe pas de toute façon.

    On peut en tout cas noter qu'au travers de votre démarche de participation à des clubs/salons/groupes de lecture, vous avez démontré la meilleure volonté du monde ^, une bonne volonté dont je n'ai jamais été capable (cependant ce sentiment, cette envie de mourir, je l'ai ressenti à chaque fois que j'ai participé à une réunion avec des humains lambda : ma carrière "d'activiste" s'est d'ailleurs arrêtée nette il y a presque 20 ans lorsque j'ai accompagné un ami à une réunion Atac qui n'a porté que sur la définition de l'ordre du jour de la suivante, ce qui, je le pense, est denrée commune).

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  6. C'est vrai que je ne prends pas encore la mesure de l'effondrement du système, vos prochains posts sur le sujet m'intéresseront d'autant plus.
    Pour mes vagues inquiétudes sur le système éclaté futur, juste un exemple contemporain qui risque de rester d'actualité dans les temps futurs: mon F.A.I est Free; à chaque entrée sur internet, j'ai droit, comme des millions de "freenautes", à une sélection de scoops, coups de coeur, infos people primordiales, d'une rare débilité, mais auxquelles il est a priori difficile d'échapper; par exemple, longtemps avant sa sortie, "Avatar" (puisque vous prenez l'exemple du cinéma) a fait l'objet de multiples annonces, premières images, anecdotes sur le tournage, la post-production, l'effet 3D etc., bref un bourrage de crâne tout à fait comparable aux antiques medias "mainstream"; certes l'avis des premiers spectateurs permet un bouche à oreille favorable ou défavorable susceptible de court-circuiter une campagne officielle, mais si les premiers spectateurs-critiques-internautes ont été correctement conditionnés...
    Cela dit, en ce moment j'ai une otite, ce qui explique peut-être mon pessimisme hors prises de doliprane.

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  7. Ah mais soignez-vous Marco ! Il est certain que je pêche un peu par optimisme. Figurez-vous que demain, j'ai RV avec des marketeux (rien à voir avec votre prénom, ce sont des gens du marketing), une agence spécialisée dans ce que vous décrivez à propos d'Avatar. Le diagnostic des gars de cette agence est intéressant : le système média se casse la gueule et ce n'est que le début, plus le fric va le fuir et plus vite il va s'effondrer (en s'intégrant parallèlement à Internet qui absorbe tout, mais en changeant forcément les règles du jeu). Leur objectif est plus ennuyeux : nous allons aider les marques à leur mutation, qui passe par la colonisation d'Internet avec tout ce que vous signalez à propos d'Avatar.

    Donc oui, quand Hachette, la Martinière et les gros indépendants arrêteront de claquer du fric en procès, mettront leurs attachés de presse TF1/ Le Monde au chômage et investiront massivement sur le net, on va avoir de la manipulation. Reste que celle-ci sera un peu moins aisée, car la promo one-to-many est sans réplique, alors que le many-to-many demande d'être sûr de la qualité de son produit autant que de la relation-client (ici, la relation lecteur)

    Certes Avatar cartonne, il a été programmé pour. Mais en 2009, Paranormal Activity a coûté 15.000 dollars et a été tourné dans la maison du réalisateur (Oren Peli), il a produit 107 millions de bénéfices. C'est du jamais-vu. Et c'est aussi cela le nouveau système de réputation, une "circulation des élites" accélérée et un 80/20 modifié vers le 70/30 voire moins (pour reprendre deux catégories de Pareto, la seconde étant 80% des ventes par 20% des biens).

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  8. Bon sang vous m'avez encore convaincu! Je vais prendre des antibiotiques pour fêter ça.

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  9. Malheureusement, Paranormal Activity c'est typiquement un "coup médiatique", sûrement pas un exemple du triomphe de la qualité. Le film manque parfaitement d'intérêt en dehors du buzz, je n'ai pas vu Avatar, mais je suis à peu près sure que le film est bien plus divertissant.

    Pour avoir travaillé dans un grand groupe de médias, je peux mettre le doigt sur des tendances chiffrées, qui justifient les investissements : la tv s'effondre, on ne veut plus y mettre un rond (à part les chaînes thématiques (enfants, sports...)), la radio se maintient, étant le média de proximité par excellence (mais les investissements/croissance se font à l'étranger), la presse s'écroule (hormis la presse pour baby boomers), le numérique, on voudrait y investir, mais on ne sait pas trop où (sans compter que les frictions "numérique/médias classiques" sont courantes et tendent à paralyser le développement légal du numérique, comme par exemple l'attitude des majors qui tuent dans l'oeuf par leur réticence et leur avidité de nombreux projets de convergence). Le "livre", qui n'est pas réellement considéré comme un média, se maintient, mais survivent plus au travers de best sellers buzzés comme les mémoires de PPDA, les séries Harry Potter ou Twilight, qu'au travers d'une démarche qualitative, littéraire ou ...

    En toute hypothèse, la crise financière aura sûrement porté l'estocade aux médias déjà en crise, par un écrasement généralisé des budgets pub, cela en France comme ailleurs en occident (notamment aux US). En parallèle, les modèles marketing ont subi une mutation ces dernières années et une spécialisation en effet (passant par le "street marketing", etc), on est obligés de cibler plus, la tv n'est plus le média roi, ne touchant plus l'intégralité du bon peuple.

    Une petite remarque sur les films : nombre de films sont conçus pour profiter de l'effet buzz et avoir une carrière d'une semaine ; je ne suis pas sure qu'on puisse parler d'un triomphe quelconque à les voir se faire recaler en 3ème semaine, on peut plutot parler d'un triomphe marketing à générer le public des premières semaines.

    Sinon, pour un nouveau modèle éclaté, je vous crois optimiste : nous verrons bien à l'usage, mais mon sentiment depuis de nombreuses années est que nous nous dirigeons vers le triomphe du tout-propriétaire, dont Infonie/AOL ont été les pionniers, et l'ipad/iphone/istore représente la version actualisée classe et pleine de séduction.
    Et la liberté, on pourra se la mettre où je pense.

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  10. Sinon, à noter que le modèle français demeure un cas pathologique d'obséquiosité et de connivence légèrement à part. Pour preuve, la perception des anglais sur notre milieu culturel :
    http://news.bbc.co.uk/2/hi/programmes/from_our_own_correspondent/8474488.stm

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  11. Anonyme : je me suis endormi pendant Paranormal Activity (piraté évidemment) et je pense que j'aurais vomi pendant Avatar (évité donc). Le premier me semble simplement conçu sur un modèle économique différent. Certes les films cherchent à jouer sur le buzz, mais il y a eu de gros cassages de gueule dans le bilan 2009, avec de nouveau des observations sur le déclin du star system comme garantie du box office.

    Je suis ravi que vos données confortent les miennes pour ce qui est du crash média en cours. Pour qui a connu les années 1980-1990 et le triomphe de la "pensée unique" par médias concentrés interposés, rien que cela justifie une danse de joie au milieu des ruines à venir.

    "Tout-propriétaire" : on verra. Mais de toute façon, dans la perspective plus restreinte de mon billet, quelle signification lui attribuez-vous? Qu'un auteur n'aura pas le choix de multiplier les formats et donc les diffuseurs de son livre numérique? Ou que ces diffuseurs auront chacun leur format ? Ce qui est un peu ennuyeux dans le second cas, mais pas si grave : je pense que nous allons voir apparaître de vraies maisons d'édition électronique qui vous moulinent votre manuscrit en dix formats universels et qui vous les placent où il faut, et des coopératives libres qui font le même genre de boulot en peut-être un peu moins bien (mon optimisme...).

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  12. Les scores cinéma sont à prendre avec des pincettes : un échec au box office ne signifie pas nécessairement un échec des producteurs à atteindre le but qu'ils avaient en tête en produisant. Si ce n'était pas le cas, il n'y aurait pas autant de films avec Michael Youn, Lagaf et consorts.
    Un échec, c'est parfois financièrement préférable à une réussite (cf "The Producers" pour la preuve par l'exemple).
    On peut aussi vouloir faire un film pour faire de bonnes bouffes avec ses potes au frais de la princesse (le CNC et autres pourvoyeurs de subventions, qui généralement exigent des têtes connues justement), ou simplement pour blanchir de l'argent.

    Pour le reste, je répondrai demain. Sauf, il serait sage à tout un chacun de bannir "piraté" de son vocabulaire. Comme on dit ailleurs, la parole et libre, la plume et serve.

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  13. Ah mais c'était avant la loi, ce piratage, je suis maintenant un citoyen vertueux. Rassurez-moi, le législateur n'a quand même pas imposé la rétroactivité pour faire plaisir aux amis du Président ?

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  14. Le ∏ ratage est depuis longtemps interdit, civilement et pénalement réprimé, la loi récente est juste venue offrir un dispositif permettant de faciliter les poursuites/répression. Elle est entrée en vigueur en octobre dernier, n'est pas rétroactive, elle n'a pas même encore, à ma connaissance, ses décrets d'application, mais c'est l'esprit de la loi dont il faut tenir compte.

    Les décrets d'application doivent notamment définir quels éléments seront utilisés pour assurer la preuve permettant de mettre en branle ce dispositif spécial. Une réponse ministérielle récente est venue assez heureusement préciser que la seule adresse IP n'était pas une preuve matérielle suffisante (c'est à dire qu'elle peut être contestée), cela pour éviter les condamnations de personnes dont la connexion pourrait être piratée par des tiers.

    Si vous m'avez suivi, vous aurez noté que la loi nouvelle est inutile pour lancer des poursuites de faits prouvés, et la sagesse trouvera inutile de tendre elle-même le bâton pour se faire battre.

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  15. Par "tout-propriétaire", j'entends que les opérateurs de médias de demain (je vois bien les actuels détrônés par apple, google et amazon, et/ou sous un autre angle orange, bouygues, sfr) auront tout intérêt à verrouiller leur clientèle et leurs auteurs (=produits exclusifs, comme le deal iphone/orange).

    Rien n'est défini encore, lesdits opérateurs ont un panel de choix à dispo, choix conjugables comme :
    - création de machines regroupant en une seule toutes les fonctions média (téléphone, tv, cinéma, internet, livre, musique) d'un ordi (comme l'ipad par exemple) accessibles en option moyennant surcout d'un abonnement de base.
    - le modèle nespresso/apple/téléphonie mobile : la machine est bridée et ne lit que les formats propriétaires et l'utilisateur n'a pas le droit de modifier la machine pour lui ajouter des lecteurs non-propriétaires.
    En allant plus loin dans cette logique, la machine pourrait également refuser de lire des fichiers non acquis auprès de la boutique propriétaire.
    On peut également envisager que la machine ne puisse naviguer que sur les pages certifiées par l'opérateur.
    - le modèle hollywoodien de la grande époque : les auteurs appartiennent à l'opérateur qui exige l'exclusivité, et détermine comment et sur quels supports il entend distribuer le produit.
    - le modèle AOL fermé (celui de la tv cable ou satellite) : on s'abonne auprès d'un opérateur qui offre un catalogue de produits délimité. L'accès à une offre élargie impose un abonnement auprès d'un autre opérateur.

    Mon idée est que l'éventuel basculement vers de tels modèles pourra se faire à partir de la généralisation du très haut débit (les canaux THD) qui devrait de facto créer un internet à deux vitesses : le grand public devrait se ruer sur le THD qui permet une convergence améliorée et l'accès à de nouvelles fonctions (genre contrôle des caméras pendant un match de foot etc) mais nécessite également des investissements pour les opérateurs (ou tout éditeur de site), l'internet classique "libre" pourrait tomber en désuétude.

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  16. (anonyme) Merci de toutes ces précisions, je comprends mieux votre pensée. Mais les futurs opérateurs ont-ils intérêt à verrouiller à ce point leur offre ? C'est par exemple la stratégie Mac depuis longtemps, et le résultat est une part minime du marché matériel et logiciel, ce qui n'incite pas à suivre l'exemple (on l'oublie avec le succès d'iTunes et d'iPhone, mais l'enfermement d'Apple n'est pas globalement payant d'un point de vue marchand). Par ailleurs et pour ce qui est des biens numériques, la "longue traîne" rend très rentable l'intégration d'un maximum d'offres : une part non négligeable du CA vient d'innombrables petits achats de niche. Celui qui restreint trop son offre pour rendre les clients captifs risque de se retrouver sans client du tout. Un peu comme si iTunes disait : "désormais, je ne vends que la musique que je produis", ce qui serait économiquement insensé (puisque des centaines de milliers de petits producteurs assument le coût désormais faible de produire leur propre musique, iTunes prospérant en se contenant de la vendre avec une commission au passage). Il est tard, je suis fatigué et peut-être pas clair.

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  17. Bien sur que ce n'est pas encore dans l'air du temps, mais je pense que ça pourra le devenir : l'argument roi étant celui de la lutte contre le piratage.

    Dire que le modèle apple n'est pas payant, c'est se tromper : le marketing apple est très performant et notamment fondé sur la rareté et la désirabilité de la rareté. Ne pas dominer en termes de parts de marché ne signifie pas que la stratégie n'est pas payante au final et que les marges d'apple ne sont pas bien supérieures à celles de leurs concurrents.

    Plus, itunes, alias la vitrine multitâches du magasin en ligne d'apple, prolifère sur les machines suivant la stratégie ancienne du cheval de troie, du fait du succès conjugué de l'ipod et de l'iphone. Evidemment qu'ils n'allaient pas refuser le mp3 comme format, on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, l'ipod n'aurait jamais eu le succès qu'il a sans le mp3. Mais itunes fait en revanche volontairement l'impasse sur les formats lossless concurrents du sien comme FLAC et APE, et de nombreux formats videos concurrents plus perfomants (quick time c'est de la rigolade). Plus diverses fonctions d'itunes sont en revanche inaccessibles aux personnes qui ne jouent pas le jeu de l'apple store.

    Itunes ne dit pas : "désormais, je ne vends que la musique que je produis" puisqu'il ne produit pas de musique, mais en revanche itunes dit dejà : iphone/ipad ne lisent que des produits sur lesquels moi apple je touche 30%.
    On garde encore l'exception du mp3, parce que ce ne serait pas viable économiquement à ce stade de ne lire que le format propriétaire vu que 75% des bibliothèques musicales mondiales numérisées existent sous le format mp3 (idem pour la compatibilité d'OS X à microsoft)

    On verra bien. Mais n'imaginez pas que le nouveaux venus seront angéliques et contribueront à ce magnifique idéal de liberté représenté dans internet, ce sont de pires requins que les anciens (plus adaptés au marché en fait) : d'ores et dejà, signer un contrat avec apple ou google (je n'ai pas d'expérience avec amazon), c'est se confronter à des murs qui ne négocient rien et se préparer à se faire dépouiller consciencieusement.

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