Questions aux éditeurs en procès contre Google

Chers éditeurs, vous venez de faire condamner la société Google pour la numérisation sans votre autorisation d’ouvrages français présents dans les bibliothèques américaines, estimant que cette démarche s’apparente à la contrefaçon et porte atteinte à votre propriété intellectuelle (jugement, pdf).

Vous défendez le droit d’auteur, fort bien. Mais, chers éditeurs, vous avez également un certain nombre de devoirs vis-à-vis de ces auteurs et, plus largement, vis-à-vis des lecteurs. Vous n’ignorez pas que la chaîne de production du livre est numérisée depuis les années 1980, que les scanners existent depuis plus longtemps encore, que la simple saisie d’un texte permet aisément de le rendre disponible en lecture numérique, que les premières machines à numérisation automatique sont apparues au début des années 2000. Vous n’ignorez pas non plus que vos fonds comportent plusieurs centaines de milliers de titres parus au XXe siècle, protégés par ce fameux droit d’auteur auquel vous attachez tant d’importance.

Vous vous félicitez de votre procès contre Google, mais je me permets de vous poser quelques questions :

• Qu’avez-vous fait pendant les années 1970, 1980, 1990 et 2000, soit quatre longues décennies qui vous auraient permis de numériser lentement votre fond, comme l’a fait patiemment le modeste Projet Gutenberg aux Etats-Unis ?

• Pourquoi le rapport Albanel prévoit-il que la BnF (en d’autres termes l’argent public) assure la numérisation des « œuvres orphelines » qui sont, dans bien des cas, vos œuvres, celles sur lesquelles vous revendiquez si bruyamment votre propriété intellectuelle ?

• Comment se fait-il que la « révolution numérique » vous prenne de court alors que le texte a été le premier média numérisé ?

• Pourquoi l’offre francophone sur liseuse est-elle si pauvre, minable même, alors que le succès des liseuses date de plusieurs années déjà ?

• Le chiffre d’affaire annuel de 2,83 milliards d’euros de votre profession (Ministère de la Culture, mars 2010), en croissance régulière depuis 30 ans, vous laisse-t-il des marges si faibles que vous ne pouviez réinvestir la moindre somme dans la numérisation progressive de votre fonds ?

Comprenez bien, chers éditeurs, que ces questions sans réponse font planer un sérieux doute sur votre honnêteté intellectuelle. Votre défense procédurière du droit d’auteur paraît une préservation à courte vue de vos profits, de sorte que dans le cas Google, le couplet de l’exception culturelle face à l’ogre américain ne trompe personne – pas même vous, sans doute. Le meilleur moyen de défedre la culture de langue française serait de la rendre abondamment disponible en accès numérique : vous avez failli dans cette tâche, c’est à l’initiative publique (Gallica) ou privée mais étrangère (Google) que l’on doit aujourd’hui les ressources les plus abondantes.

Rien dans vos actes ne témoigne ainsi d’une vision ancienne, ample et généreuse du livre à l’âge numérique, tout démontre la précipitation et l’affolement. L’expression inadéquate de « droit d’auteur » masque de plus en plus difficilement sa réalité, à savoir un monopole de copie, et un monopole dont vous n’avez pas su user pour rendre en temps et en heure ces copies disponibles au public numérique.

Vous pouvez bien sûr continuer dans cette voie, estimant que la loi vous protège et ne vous oblige à aucun devoir vis-à-vis du public. Vous pouvez continuer à revendiquer le droit d’auteur que lorsqu’il vous est profitable et à ne surtout pas exploiter cette propriété intellectuelle quand elle vous coûte. Mais cette pratique si manifestement centrée sur vos intérêts n’aura que des conséquences néfastes : dégradation supplémentaire de votre image, éloignement des auteurs lucides, déception de vos lecteurs. Et pour finir piratage de vos best-sellers, car le respect de la propriété intellectuelle est proportionné au respect qu’inspire le propriétaire.

Je ne doute cependant pas, chers éditeurs, que vous aurez l’obligeance de répondre à mes questions et, surtout, de garantir aux lecteurs francophones que votre fonds sera prochainement et intégralement disponible sur les liseuses, à des prix et des formats accessibles pour le grand nombre.

5 commentaires:

  1. Vous n’ignorez pas que la chaîne de production du livre est numérisée depuis les années 1980,

    1990

    que les scanners existent depuis plus longtemps encore,

    Oui mais analogique

    RLZ

    Mais en fait je suis assez d'accord avec ce qui est dit par iphone etc

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  2. @ C.

    Euh, rassurez-moi : vous n'attendez quand même pas une réponse de ces gens pour continuer votre blog ? :)

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  3. (RLZ) Hum, je me souviens de mon initiation à X-Press vers 1987-1988, dans le milieu du packaging éditorial, c'était déjà la version 2 et quelques.(Quand j'y repense, on bossait sur des Mac Plus qui devaient avoir quelques Mo de RAM...)

    (Extra) Non, j'attends surtout d'avoir autre chose qu'une connexion 3G pourrie, parce que là, cela me rappelle les années 1990 et leur modem 56K :D

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  4. @ C.

    ok ! :D
    perso j'ai la fibre à la maison, donc je n'ai pas ce problème eh eh :D (assez cher quand même mais ma foi ça en vaut le coup - sans vouloir faire de pub hein)

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