Vous avez dit "vraie" liberté?

Bernard Kouchner publie dans Le Monde une tribune sur le thème « Internet : un enjeu de politique internationale ». J’en partage la plupart des attendus, et la conclusion : « Je crois qu'une bataille d'idées est engagée entre, d'un côté, les tenants d'un Internet universel, ouvert, fondé sur la liberté d'expression et d'association, sur la tolérance et le respect de la vie privée et, de l'autre, ceux qui voudraient transformer Internet en une multiplicité d'espaces fermés et verrouillés au service d'un régime, d'une propagande et de tous les fanatismes. La liberté d'expression est "la base de toutes les autres libertés". Sans elle, il n'est point de "nation libre", disait Voltaire. Cet esprit des Lumières, qui est universel, doit souffler sur les nouveaux médias. La défense des libertés fondamentales et des droits de l'homme doit devenir la priorité de la gouvernance d'Internet. »

Là où je suis plus inquiet, c’est en lisant ce paragraphe quelques lignes plus haut :

« Si tous ceux qui sont attachés aux droits de l'homme et à la démocratie refusent de transiger avec leurs principes et défendent un espace Internet qui garantit la liberté d'expression, cette répression sera rendue plus difficile. Je ne parle pas d'une liberté absolue ouverte à toutes les dérives, dont personne ne fait la promotion, mais de la vraie liberté, celle qui est fondée sur le principe du respect de la dignité de la personne et de ses droits. »

Quand on commence à distinguer la « vraie » de la « fausse » liberté, je n’aime pas cela. Un principe ne vaut que par son universalité : chaque exception ruine sa valeur de principe. La liberté d’exprimer les seules opinions majoritaires, convenues ou légales n’est pas la liberté, c’est le conformisme et le contrôle. En d’autres termes, les droits de l’homme n’ont pas de sens s’ils n’incluent pas la possibilité d’énoncer leur négation : sans cela, ils deviennent un dogme que l’on peut aisément caricaturer comme tel. De même, réprimer l’expression des émotions négatives (colère, haine, dégoût etc.) ne conduit à rien : les individus ainsi privés de parole sont enfermés dans la répétition de ces émotions, ils s’estiment souvent légitimés par leur censure, ils ne subissent pas l’érosion de la critique rationnelle, ils continuent de véhiculer des erreurs et des mensonges.

De ce point de vue, la France n’est certainement pas la mieux placée pour défendre et illustrer l’idée d’un espace public libre. Outre ses nombreuses lois limitant la liberté d’expression, rappelons par exemple qu’elle se situe au 43e rang international du respect de la liberté de la presse dans le classement de Reporter sans frontières, en recul régulier depuis plusieurs années. Le pays de Loppsi et Hadopi devrait donc balayer devant sa porte. 

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