La copie privée est-elle un droit de l’homme?

Selon la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Article 19 – Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit. »

Les partisans de l’égal accès aux contenus de l’Internet (principe de neutralité) et de la diffusion entre pairs de ces contenus (principe de liberté) sont aujourd’hui dispersés dans leur stratégie face au rouleau compresseur des États et des industries. Il me semble que leur combat doit être mené sur le plan intellectuel, mais aussi juridique et politique. Or, Internet étant universel et les libertés étant individuelles, c’est probablement la Déclaration des droits de l’homme qui forme la référence naturelle de ce combat. Dans nos démocraties, les droits de l’homme ont valeur constitutionnelle et ils s’opposent aux dérives autoritaires ou totalitaires des lois positives. Un gouvernement peut être contraint par l’instance d’examen de constitutionnalité de ses lois (Conseil constitutionnel en France) et par la Cour européenne des droits de l’homme d’annuler une disposition contraire aux droits fondamentaux et libertés publiques.

Il se trouve donc, comme le montre l’article 19 reproduit ci-dessus, que les droits de l’homme défendent expressément « la liberté (…) de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ». La version française de 1789 a une disposition semblable dans son article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne également, plus proche de la Déclaration universelle dans son article 10 : « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières »

Si l’on définit la copie privée comme la reproduction de toute œuvre de l’esprit pour un usage privé – non commercial en clair –, il me semble qu’elle relève d’une liberté fondamentale du citoyen.

Dans nos démocraties, les partisans de la liberté et de la neutralité d’Internet gagneraient à interpeller les élus et les partis afin de soulever ce point, c’est-à-dire de voir reconnaître que l’accès au réseau d’une part et la circulation d’informations sur ce réseau d’autre part relèvent tout simplement des droits de l’homme. Ce même argument peut être opposé aux plaignants par les avocats des « pirates », afin d’obliger les instances compétentes (Cour européenne des droits de l’homme en dernier ressort) à se prononcer sur cette interprétation. Il semble que certaines dispositions de la loi DADVSI contreviennent par exemple aux différents articles cités qui garantissent les droits fondamentaux des citoyens européens.

Nota : cette réflexion est inspirée de celle de Jérémie Zimmermann, La guerre de l’accès (Quadrature du Net). Je n’ai pas réussi à trouver d’informations sur ce point précis d’interprétation des droits fondamentaux appliqués à la copie privée, merci de me les signaler s’ils existent (surtout au plan juridique : avis du Conseil constitutionnel ou procédure engagée à l’échelle de la Cour européenne des droits de l’homme).

3 commentaires:

  1. Le vol est un droit de l'homme, surement, l'écrivain et l'artiste ne sont pas des hommes : ils ont juste le devoir de se laisser piller. CQFD merci pour tout

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  2. A mon avis il serait très facile de vous faire regretter cette liberté d'expression, sur votre propre blog.

    Vous faites un pari et vous le gagnez, mais ce n'est pas le cas de tout le monde (demandez à Léo Scheer)

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  3. (anonyme) Le propriété est elle aussi reconnue comme un droit de l’homme (article 17 de la même déclaration universelle de 1948, « Toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité, a droit à la propriété »).

    Avant-hier, j’ai donné un livre à l’une de mes filles, un DVD à une autre ; aujourd’hui, j’irai à la bilothèque rendre et reprendre des livres : à chaque fois, les contenus circulent sans aucun achat nouveau. Personne ne qualifie cela de « vol » et personne ne nie la propriété intellectuelle de l’auteur sur les créations qui se diffusent ainsi spontanément. La copie privée n’est qu’une généralisation de cette liberté concrète d’échanger des biens informationnels qui nous plaisent. En l’occurrence, la numérisation supprime le support physique qui est transféré dans les machines et leurs « tuyaux » : le bien informationnel libéré de son support devient non-rival, il peut profiter à plusieurs personnes de manière non exclusive.

    Bref, la question du revenu des auteurs est tout à fait légitime, mais si l’interdiction généralisée de faire circuler une information est sa condition, alors ce n’est pas tenable. Il vaut mieux réinventer un modèle économique que supprimer une liberté fondamentale.

    (krane) Les libertés peuvent toujours faire l’objet d’un mauvais usage. Mais si cet argument suffisait à les supprimer pour tous, au lieu de pénaliser seulement ceux qui font un mauvais usage, alors nous créerions une société invivable.

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