Kindle: les meilleures ventes... ne sont pas des ventes!

Sur Publishers Weekly, Rachel Deahl révèle qu’Amazon s’apprête à diviser sa liste des meilleures ventes numériques en deux. Car le problème est le suivant : il ne s’agit souvent pas des meilleures ventes, mais des meilleurs téléchargements gratuits. Les dix ouvrages les plus téléchargés du moment ne coûtent rien (et la moitié en général sont gratuits selon Motoko Rich, qui couvre les livres pour le NY Times). Il peut s’agir de livres du domaine public disponibles pour le Kindle ou, plus souvent, d’offres promotionnelles d’éditeurs. Ceux-ci testent l’effet d’appel d’un titre gratuit pendant une courte période. Une pratique qui ne serait sans doute pas possible en France si la loi sur le prix unique est étendue au livre numérique.

Et pourtant, l’expérience grandeur nature du Kindle rappelle l’observation de fond déjà opérée dans tous les autres domaines : le gratuit est l’horizon de la valeur d’un contenu sur Internet. On peut certes s’y opposer, mais on ne pourra pas échapper à une concurrence croissante entre les offres gratuites et payantes, au détriment annoncé des secondes.

Voilà pourquoi j’accueille avec un certain scepticisme l’annonce faite aujourd’hui par ePagine, Eden Livres (Flammarion, Gallimard, La Martinière/Le Seuil), Eplateforme (Editis / Média participations / Michelin) et Numilog (Hachette) d’une ouverture simultanée de leurs plateformes de diffusion professionnelles à destination des librairies numériques. Si j’en comprends bien la teneur, un livre numérique sera d’abord déposé par l’éditeur sur les plateformes de diffusion en question (étape 1), puis chargé à partir d’elles sur le site du détaillant (étape 2), après quoi le lecteur pourra enfin y accéder. Ce qui ressemble à une usine à gaz, probablement de nature à satisfaire les intermédiaires craignant de perdre le contrôle du contenu et du marché, mais dont la conséquence nécessaire sera un coût plus important du livre numérique.

Or le lecteur vote avec ses clics et l’expérience du Kindle comme toutes les enquêtes d’opinion menées depuis deux ans montrent que la première attente de ce lecteur, c’est le prix le plus bas possible pour le livre numérique. Tout le monde n’a pas le pouvoir d’achat d’un dirigeant de maison d’édition industrielle. Et en tout état de cause, la perception subjective du prix – le « consentement à payer » des économistes – est relative à tout le spectre de l’offre, la présence du gratuit faisant automatiquement tendre l’ensemble vers le bas. C’est encore plus vrai pour un bien d’expérience dont on ne sait pas a priori s’il procurera une satisfaction ou une déception.  Il est douteux que cette priorité change du jour au lendemain ou que la promesse de livres « augmentés » fasse disparaître la recherche de livres « homothétiques » mais à très bas prix – surtout dans des genres populaires comme le roman, l’essai ou la BD, dont le contenu simple apporte la principale satisfaction au lecteur.

Donc les annonces autosatisfaites des libraires et éditeurs sur leurs plateformes de diffusion semblent légèrement à côté de la plaque. La priorité paraît d’inventer un modèle économique très différent de celui du papier, s’accommodant d’une part de plus en plus importante de gratuité du contenu (ou de créativité sur le contenu payant). Si les auteurs, éditeurs, distributeurs et détaillants ne le comprennent pas, les lecteurs le leur rappelleront. 

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