Faut-il taxer la vente de cocaïne? (rémunération pour copie privée et hypocrisie généralisée)

On parle encore de taxes aujourd'hui, un thème dont la France n’est jamais avare. Selon Numérama et Editions Multimedia, le gouvernement planche donc sur une nouvelle taxe qui devrait frapper l’iPad et, plus généralement, une catégorie en cours de création de « tablettes numériques » incluant les liseuses (Kindle, Reader, etc.).

Le principe de cette taxe n’est pas nouveau, mais il est toujours aussi injuste. L’idée est de contrebalancer les pertes économiques de la création liées aux nouveaux supports d’enregistrement et de transfert de cette création. Pour mémoire, le site Copie France fournit une synthèse intéressante de tous les supports actuellement taxés et du niveau de la taxe. Et la liste est tout de même très longue :
• baladeurs MP3
• chaînes hi-fi à disque dur
• enregistreurs vidéo à disque dur
• décodeurs à disque dur
• TV à disque dur
• téléphones multimédias
• baladeurs et appareils de salon hybrides
• cassettes audio
• mini-disques
• cassettes VHS
• CR R et RW
• DVHS
• DVD
• disquettes MFD
• cartes mémoires amovibles
• disques durs externes
• clés USB

A chaque fois qu’un support de ce type est acheté, une taxe est donc prélevée. Or, la justification de ces taxes est claire : il s’agit de la rémunération pour copie privée, prévue dans le Code de la propriété intellectuelle. «Art. L. 311-1. : Les auteurs et les artistes-interprètes des oeuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes, ainsi que les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites œuvres (…)»

Mais dans ce cas, il faut bien sûr admettre que la copie privée est légale – on ne taxe pas encore la vente de cocaïne, que je sache – et évoluer clairement vers un système de licence globale, permettant à chaque individu de faire ce qu’il veut (hors commerce bien sûr) des contenus après paiement de ladite taxe. 

Un enfant de cinq ans est capable de le comprendre : si un produit est taxé pour pallier les pertes de rémunération dues à la reproduction des oeuvres dans un cadre privé, alors cela signifie d'une part que la copie privée est autorisée sur et avec ce produit, d'autre part que cette copie privée ne pose plus de problème particulier, puisque la taxe est imposée pour compenser justement le manque à gagner.

Au lieu de cela, les usagers ont droit à la double matraque de la taxe côté Etat et du procès côté industries.

Est-ce qu’une personne sensée et calme, éventuellement un médecin, peut expliquer aux représentants des pouvoirs publics et privés que le système actuel est aussi irrationnel que kafkaïen, et qu’il ne doit son existence tentaculaire qu’à l’obsession maladive de la propriété intellectuelle, trouble psychologique ancien mais dont une épidémie imprévue a hélas touché de nombreux esprits depuis une trentaine d’années ?

Ajout : il semble (Numerama) que les taxomanes envisagent d'intégrer aussi les consoles de jeu et les Blu-Ray à nos tributs obligatoires au soutien à la création. Conclusion de bon sens de Guillaume Champeau : "S'il s'agit, comme tout le monde le sait mais comme la loi interdit de le dire, de compenser les pratiques illicites de téléchargement, pourquoi ne pas légaliser ces pratiques qui donnent lieu à paiement de la part des consommateurs? Ce qui n'était jusque là d'une hypocrisie est devenu un scandale avec la loi Hadopi. On ne peut pas taxer d'une main ce qu'on pénalise d'une autre."

3 commentaires:

  1. Je propose de taxer la connerie,
    Cela rapporterait beaucoup plus.

    RLZ

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  2. Votre article est, pour une fois, un peu réducteur, au moins ne place pas le problème sous le bon éclairage.
    La rémunération pour copie privée a été instaurée en 1985, alors que l'usage des bandes magnétiques se généralisait dans le domaine privé, et faisait perdre du chiffre d'affaires aux businessmen (point de vue 1) / mettait la création en danger (point de vue 2) / permettait d'écouter The Cure et Joy Divison sur son walkman sans avoir à acheter les disques, bath ! (point de vue 3).
    Le problème n'est plus le même aujourd'hui car la technique permet de cloner les oeuvres sans déperdition de qualité, ce qui n'était pas le cas avec les bandes magnétiques.
    Pour résumer, une fois que j'avais enregistré Faith sur ma K7 depuis le vinyle de mon pote, je pouvais toujours passer ma K7 à un ami qui en aurait fait une copie et ainsi de suite mais le 50ème maillon de la chaîne aurait eu une bouillie sonore. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le cadre de la copie privé a bien changé. Et les défenseurs de ladite ne font que suivre leur logique, légalisée depuis 25 ans sous les coups de boutoir des lobbies artistiques que Lang s'est empressé de satisfaire, en voulant réduire l'utilisation privée des oeuvres copiées désormais largement diffusables sans perte de qualité.
    (D'ailleurs, ce n'est pas le consommateur qui est directement taxé mais le fabricant de supports, qui of course répercute le coût de cette taxe sur son prix de vente mais le principe peut vous être opposé.)
    Le problème n'est donc pas celui de la copie privée mais du droit d'auteur tel qu'il est appliqué dans notre pays, et surtout des droits voisins, arrachés par les producteurs et interprètes en 1985. Cela implique de repenser quasi philosophiquement le statut de l'auteur dans notre société. Et là, y'a du boulot...

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  3. (r1) (ah... Joy Division :D) Merci de vos remarques très pertinentes sur les évolutions de la copie privée en fonction de l'efficacité des supports / formats de duplication. Et donc de vos critiques certainement fondées. En effet, le statut de l'auteur est à repenser, ainsi que celui de l'éditeur d'ailleurs. Il y a un travail proprement "philosophique" sur la notion problématique de propriété intellectuelle. Mais aussi un travail historique, juridique et économique sur le droit d'auteur et le copyright, qui n'ont rien de "sacrés", ce ne sont jamais que des conventions nées dans un certain contexte. Vaste programme en effet...

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