Notes sur la propriété intellectuelle et ses mutations à l'âge numérique

Comme je vous l’avais annoncé, voici quelques réflexions provisoires issues d’une semaine de lecture sur le thème de la propriété intellectuelle. Ce sont des notes, au déroulé suffisamment linéaire pour les considérer comme un ensemble cohérent, mais pouvant être analysées indépendamment les unes des autres. Je suis toujours ouvert à vos critiques, elles sont même très nécessaires pour moi. Bonne lecture.

> Le droit d’auteur ou copyright, c’est-à-dire la propriété intellectuelle appliquée au domaine scientifique, artistique et littéraire, est né à la suite du développement de l’imprimerie. On le décompose classiquement en droit moral (principalement : être reconnu comme auteur de l’œuvre, en maîtriser le contenu) et droit patrimonial (principalement : jouir des fruits de l’exploitation de l’œuvre).

> Le droit d’auteur n’a rien de spontané, il a été ignoré pendant la majeure partie de l’histoire humaine. Du paléolithique à la Renaissance, écrivains, artistes et scientifiques ont nourri le corpus commun de nos connaissances sans en retirer d’argent. Il est vrai que la création demandait souvent l’oisiveté, donc une certaine fortune personnelle due à sa position sociale de naissance. Mais ce ne fut pas toujours le cas. Ce qu’un auteur retirait de sa création, outre le plaisir propre à cet acte, c’était avant tout un effet de réputation, d’influence et de séduction, ainsi qu’une reconnaissance par ses pairs. Les choses n’ont pas tant changé que cela : je doute que l’appât du gain matériel (richesse) soit le véritable moteur d’une création littéraire, artistique, scientifique. Ou je doute que cette création envisagée consciemment et exclusivement sous ce prisme-là possède la moindre valeur dans la plupart des cas.

> La propriété intellectuelle est une création de l’État monarchique, puis républicain, sous forme de monopole artificiel garanti en dernier ressort par la puissance publique. Aujourd’hui perçu comme un synonyme de liberté pour le créateur, ce droit d’auteur fut en fait dès l’origine un contrôle sur sa création. Contrôle de l’autorité politique, sous forme de censure. Contrôle des intermédiaires commerciaux, sous forme d’exclusivité dans la diffusion de l’œuvre vers le public.

> Les premiers législateurs anglais (1709, Statute of Ann) et américain (1790, copyright) ont accordé un droit d’auteur de 14 ans, renouvelable une fois. Trois siècles plus tard, la moyenne observée dans le monde est de… 70 ans après la mort de l’auteur. Cette extension progressive vers une limite indéfinie est étrange : l’indépendance et la créativité d’un cadavre ne demandent sans doute pas tant de protections. En fait, cela rappelle plutôt l’origine du droit d’auteur : un monopole commercial du diffuseur, qui entend tirer profit de son investissement (cession de droits sur la création), et donc aujourd’hui poursuivre ce profit bien au-delà de la mort du créateur.

> La propriété intellectuelle concerne des « œuvres de l’esprit », c’est-à-dire des biens que l’on qualifie d’immatériels. Son régime est donc spécial – par exemple, l’inventeur du feu ou de la roue n’a pu empêcher (s’il l’a voulu) son initiative de se répandre, car les hommes procèdent naturellement par imitation et inspiration les uns des autres. L’œuvre de l’esprit n’est pas rivale (son usage par une personne n’en prive pas les autres), elle n’est pas captive (on la retrouve sur toutes sortes de supports physiques ou biologiques), elle n’est pas aisément excluable (il est difficile de l’interdire à certaines catégories de personnes). Ainsi, le théorème de Pythagore ou l’ouverture de la cinquième symphonie de Beethoven ne sont pas assimilables à la voiture garée au coin de la rue, ou à tout autre bien matériel rival, captif et excluable. Au lieu de généralités un peu creuses sur la marchandisation de la culture, on devrait rappeler cela : que la propriété est d’abord ce qui est propre à une chose (ou un être), que l’œuvre de l’esprit a des propriétés intrinsèques lui permettant d’échapper à toute tentative de les contrarier durablement, que les efforts des censeurs politiques ou des exploiteurs marchands sont vains et ne servent tout au mieux qu’à retarder l’inéluctable liberté de la création de se répandre dans les esprits. Une liberté bien plus fondamentale que les autres pour l’animal conscient qu’est Homo sapiens.

> Le droit d’auteur dans sa forme actuelle est né d’une technologie, l’imprimerie. Et le droit d’auteur dans sa forme actuelle va mourir d’une technologie, l’Internet.

> L’Internet bouleverse de fond en comble les conditions de la création comme celles de la diffusion, c’est-à-dire l’équilibre initial où s’est construite la propriété intellectuelle moderne. Les éditeurs de contenu (presse, édition, radio, télévision, musique, cinéma, logiciels) ont pour beaucoup d’entre eux refusé d’admettre cet état de fait, ou même d’y réfléchir. La position majoritairement adoptée consiste à remettre en cause les fondements d’Internet comme réseau ouvert, libre et neutre, afin d’y imposer les normes obsolètes de l’ancien monde physique. La numérisation dans la couche logique et la couche contenu du réseau est analysée de manière simpliste, réductionniste et court-termiste, comme une menace à des marges commerciales. Main dans la main, le marché et l'Etat répondent à l'Internet par des mesures toujours plus liberticides et sécuritaires.

> Imaginons une fable. Dans les temps très anciens, une puissante corporation d’orateurs s’aperçoit qu’une cité a inventé l’écriture, que les cités voisines l’ont adoptée, que l’étrange invention se répand partout et soulève l’enthousiasme pour les usages qu’elle permet. Les orateurs sont furieux car les textes qu’ils déclamaient en public ou en privé sont désormais diffusés par écrits, ils reçoivent bien moins de monde et d’offrandes à leurs représentations. Mais les orateurs sont influents, ils ont l’oreille des puissants. Et ces dignitaires sont eux-mêmes inquiets, car l’écriture en plein développement représente une menace pour leur pouvoir que les orateurs confortaient. Qu’à cela ne tienne, se disent les dignitaires et les orateurs : après tout, cette écriture n’est pas une invention si redoutable que nous ne puissions précisément en guider les usages. On se demande d’ailleurs ce que les humains peuvent en faire à l’avenir de très utile ou de très ingénieux, sinon détruire notre propre utilité et notre propre ingéniosité, admises depuis si longtemps. Il nous suffit de prendre quelques lois, et cette écriture deviendra ce qu’elle doit être.

> L’attitude des producteurs et diffuseurs de contenus face au numérique aujourd’hui est à peu près aussi clairvoyante que celle d’hypothétiques détracteurs de l’écriture hier. Ils ne comprennent pas les changements d’échelle dans la créativité et l’inventivité que permet l’accès immédiat, universel et collectif à toutes les informations, toutes les créations, tous les savoirs antérieurs. Ils ne comprennent pas les changements d’échelle entre la rareté propre au monde physique et l’abondance propre au monde numérique et notamment, pour l’objet principal de leur crainte, cette fonction assez simple : quand la duplication numérique d’un support tend aisément vers l’infini, la valeur marchande du support ainsi dupliqué tend vers zéro. Ils ne comprennent pas que les divisions sociales, économiques, culturelles et intellectuelles nées d’un certain mode de production et reproduction des contenus seront automatiquement balayées par un autre mode de production et de reproduction. Les propriétaires de contenus ne comprennent pas tout cela… ou font semblant de ne pas le comprendre. Leurs modèles sont déjà morts, certains le savent, d’autres pas encore.

> La « tragédie des biens communs » est une conjecture proposée par Garrett Hardin en 1968. Des paysans utilisent un pâturage, bien commun. Mais individuellement, chaque paysan a intérêt à emmener une bête de plus, ou à laisser ses bêtes paître plus longtemps. Comme les autres ne l’entendent pas ainsi, ils font de même. Et au bout du compte, le pâturage disparaît. La conclusion est qu’en l’absence de règle publique ou de contrat privé, les ressources rares du bien commun sont condamnées à disparaître.

> Dans le monde numérique ne connaissant pas la rareté du monde physique, nous en sommes en situation inverse. Ce qui menace, ce serait plutôt une « tragédie des biens privés ». Situation initiale : une masse d’être humains vient nourrir ou détendre son esprit dans un domaine commun, accessible à tous. Ce domaine est en extension permanente : chacun peut y ajouter, mais rien retrancher, le flux est exactement contraire à celui du pâturage de la tragédie des biens communs. Cependant, certains décident qu’il est plus intéressant pour eux de limiter ces pratiques, soit pour les contenus soit pour les accès. Ils peuvent en tirer un petit profit. Ces free riders sont très vite imités par d’autres, qui voient à leur tour l’intérêt de créer de la rareté et n’ont pas envie d’être exclu du pactole, avec l’exploitation possible de tant de gens rassemblés dans le bien commun. Peu à peu, l’ancien bien commun se divise, son utilisation se morcelle, son accès s’éparpille en biens plus petits ne communiquant plus entre eux, les échanges inattendus et imprévisibles qui faisaient sa richesse se raréfient, les membres se persuadent qu’il vaut mieux garder ses créations pour soi et ne pas chercher ailleurs, ce qui est de toute façon devenu difficile. Au bout du compte, la somme des biens privés ne parvient pas à égaler la valeur de l’ancien bien commun quand il s’agit de nourrir la curiosité, l’imagination et l’intelligence humaines. La ressource se trouve sous-utilisée.

> En multipliant copyrights et brevets, l’économie fondée sur la connaissance rend de plus en plus lourd, coûteux, complexe et dangereux l’accès à la connaissance. Cette contradiction cognitive du capitalisme n’est pas la seule à menacer son existence, mais on en mesure déjà les effets.

> Laisser à l’auteur la liberté de décider son régime de propriété intellectuelle paraît la moindre des choses. Si vous devez contracter avec un diffuseur – par exemple un éditeur de livres –, vous observerez que celui-ci n’est pas très enthousiaste à cette idée : il vous propose plutôt un contrat standard, éventuellement agrémenté des inventions de son choix, par lequel vous êtes fortement incité à céder tous vos droits sur tous les supports possibles et imaginables (sauf si des extraterrestres arrivaient demain, un marché encore imprévu pour l’éditeur-diffuseur). Auteurs et créateurs gagneraient à faire cesser cette pression, en inversant le rapport de force. Quant aux auteurs numériques, les initiatives comme Creative Commons respectent mieux leur possibilité de choisir l’étendue et la nature des protections sur l’œuvre. C’est en ce sens qu’il faut travailler, inventer et formaliser d’autres modes de propriété ou de biens communs non propriétaires.

> Même si l’on tient l’éditeur, producteur ou diffuseur pour un parasite potentiel de la seule chose importante, à savoir la création elle-même, on se pose naturellement la question de la survie du créateur : est-il donc condamné à ne jamais jouir des fruits de son travail ? Pour un auteur, un artiste ou un inventeur, il existe au moins une dizaine de méthodes pour concilier l’existence d’un produit gratuit avec des revenus : fremium, dons, mécénat, publicité, investissements croisés, produits dérivés, etc. Chris Anderson les a longuement exposées dans Free, je n’y reviens pas, ce ne sont que des pistes parmi bien d’autres pour repenser l’économie des œuvres de l’esprit. Dans Les netocrates, Alexander Bard et Jan Soderqvist donnent une vision bien plus ample de ce qui se reconstruit sous nos yeux. Ce que chacun apporte au contenu culturel et savant produit sa valeur de notoriété, de réputation, de renommée. Cette économie de l’information et de l’attention ronge les fondements de la valeur du capitalisme à base industrielle, comme celui-ci avait peu à peu détruit ceux du féodalisme à base paysanne. La numérisation du monde succède lentement à son industrialisation en même temps qu’elle transforme celle-ci. C’est un nouveau rapport à autrui, à la vie et à la matière qui s’invente.

> En revenant à l’esprit de ses origines, admettons que la propriété intellectuelle (en dehors du droit moral à la paternité) est un monopole commercial entre un auteur et un diffuseur. Il semble finalement assez simple d’admettre à titre provisoire qu’elle est cela, et cela seulement : un monopole dans le domaine du commerce. Ce qui signifie : tout échange de l’œuvre en dehors du commerce ne remet pas en cause la propriété intellectuelle. La loi l’admet d’ailleurs puisque la copie ou la représentation de l’œuvre est libre dans le cadre privé (familial, amical), celui-ci ayant pour principale caractéristique d’être non-marchand. En vertu de la loi des six degrés de séparation, mon cercle privé de proches peut sans doute diffuser une œuvre au monde entier en l’espace de quelques jours, et cela en ne passant que dans le cadre légal des intersections de cercles de proches adjacents – je reçois l’œuvre d’un ami d’un ami, etc. (Des hackers plus doués que moi ont sans doute réfléchi à la mise en œuvre possible de ce cadre privé légal, où le peer-to-peer serait pris au sens propre, quoique formellement, et non comme un échange anonyme.)

> Sans aller à ces complications, on pourrait finalement poser que l’échange non-commercial de toute œuvre de l’esprit est libre entre les êtres humains, alors que l’échange commercial ne l’est pas, car il dépend du régime spécifique de la propriété intellectuelle et des contrats. Cela revient au fond à poser que le commerce ne doit pas imposer son cadre réglementaire à tous les aspects de notre existence et que l’esprit ne doit être affamé d’aucune nourriture. Si une requête aussi simple est devenue impossible, nos libertés fondamentales sont niées. Et toute résistance de l’individu à cette oppression est pour moi légitime.

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7 commentaires:

  1. Je ne crois pas que "Les Trois Mousquetaires" ou "Le comte de Monte-Cristo" auraient existé sans le droit d'auteur, et les revenus qui lui sont attachés. Et il ne s'agit pourtant pas là, vous en conviendrez, d'oeuvres "sans la moindre valeur". Loin de moi l'idée de glorifier le commerce et l'aspect marchand que peut avoir le monde des lettres et de l'édition, mais je crois que, sans la perspective de gagner de l'argent, Alexandre Dumas se serait lancé dans une autre carrière.
    Et si je l'évoque, c'est que spontanément, c'est son nom qui m'est venu à l'esprit. Mais on peut sans trop de problème en trouver d'autres.
    Quant à l'idée de rétribuer les auteurs par d'autres moyens, l'évocation des produits dérivés et de la publicité me glace tout autant, sinon plus, que celle d'un contrat commercial établissant une cession de droits, d'auteur à exploitant, jusqu'à 70 ans après la mort du premier.
    (Vous avez sans doute déjà compris que j'ai apposé ma signature sur plus d'une trentaine de documents de la sorte. Mais cela ne m'empêche pas de réfléchir à d'autres formes de collaboration et de rémunération, d'autant que certains de ces contrats sont à la limite de l'esclavagisme...)

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  2. (Patrick) Sauf erreur, Dumas comme bien d'autres en son temps a su utiliser un modèle économique émergent (la publication en feuilleton dans la presse populaire pas chère) pour trouver des revenus que le statut classique d'auteur d'une oeuvre finie et vendue en livre ne lui aurait pas apportés. Il a par ailleurs utilisé sa notoriété pour tenter toutes sortes de choses (théâtre, politique, etc.) qui ont en l'occurrence échoué. Donc, je trouve que c'est un bon exemple d'un créateur n'imaginant pas qu'il va vivre seulement de sa plume selon un modèle figé. Aujourd'hui, un Dumas proposerait peut-être à Apple de produire un texte quotidien en abonnement, comme cela existe au Japon.

    Des auteurs comme Dickens, Kafka et bien d'autres faisaient souvent de lectures publiques – c'est un "produit dérivé" imaginable, c'est-à-dire un événement rare et non reproductible dans le monde physique impliquant d'être payé. Cela peut glacer le sang si l'on n'aime pas les lectures publiques (personnellement, c'est mon cas), mais je pense que beaucoup d'auteurs et de lecteurs aiment cela.

    Dans le cas du livre numérique, il existe plein de moyens de trouver des revenus. Déjà et à l'évidence, on peut vendre son livre (sans pour autant réprimer sauvagement son piratage comme un vulgaire Disney ou Sony), on peut produire en petites séries des beaux livres papiers vendus comme objet d'art / de collection, on peut faire des conférences / débats / lectures payantes, on peut faire appel aux dons de ses lecteurs (eh oui, l'altruisme existe aussi), etc. Je parle en ayant en tête de la littérature, parce que des livres pratiques ou des essais ou chaque genre appelle des réflexions différentes sur les mille et une manières de ne pas crever de faim.

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  3. (patrick) Suite, j'étais interrompu. Sur les droits d'exclusivité 70 ans après la mort de l'auteur, j'y suis en revanche totalement opposé. Cela me semble l'exemple-type de la spéculation pure qui entrave le libre-accès au savoir et à la culture, et dont l'auteur ne bénéficie évidement pas. On me signalait récemment cet exemple (doublement) orwellien :
    http://www.ecrans.fr/Big-Brother-Amazon-la-surprise,7766.html

    Ce dont je n'ai pas parlé dans le texte (mais je l'ajouterai peut-être), c'est la démocratisation des moyens de production. L'éditeur argue que s'il demande l'exclusivité / la pérennité des droits, c'est parce qu'il prend de gros risques financiers au lancement. Mais cet argument tient de moins en moins quand le coût de lancement d'un produit numérique est faible. Dans le livre, c'est évident. Dans la musique de plus en plus. Ca l'est beaucoup moins bien sûr dans le jeu et le cinéma, dont chaque création est un travail à long terme avec des équipes nombreuses.

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  4. Bonjour,
    Je découvre un peu par hasard (malheureusement) votre blog et ce que vous écrivez de l'avenir de l'édition. Je reviendrai plus longuement sur vos pages, bien sûr, mais ce que j'en lis me plait bien. Vous en avez d'ailleurs, indirectement, la preuve sur mon site qui propose des textes de fiction en accès libre, mais aussi un roman en cours d'écriture sur Twitter :
    http://www.pas-vu-pas-pris.org/twitteroman/
    Tout cela vous intéressera peut-être (j'espère).
    Bien à vous
    Paul-Henri Sauvage

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  5. Très intéressant, je vais méditer là-dessus ...

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  6. Je suis parfaitement d'accord avec l'essentiel de ces idées, internet induit fatalement un nouveau rapport à l'œuvre de l'esprit, et produit donc un malaise dans l'économie du système marchand exploitant la dite œuvre de l'esprit. Or l'œuvre de l'esprit est aussi l'œuvre d'un être plus où moins adapté au système marchand exploitant les ressources (ou la ressource, pour essayer de vous rejoindre). Pour pouvoir bénéficier de ces ressources, souvent doit-il en produire lui-même (mon dieu, faites que je ne m'englue pas dans Marx), et donc il est assujetti (le pauvre) à un horrible système marchand, commercial, avec de l'argent.

    Ces pénétrantes vues prospectives me paraissent en réalité avoir trait au rapport à l'argent, au système marchand, et donc au système social qui les sous-tend.

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  7. (Michel M) : « Ces vues prospectives me paraissent en réalité avoir trait au rapport à l'argent, au système marchand, et donc au système social qui les sous-tend ». Pour commencer à répondre à ce point précis, le droit d’auteur est d’abord un moyen de revenu pour le créateur et pour son éditeur. Concrètement, il prend la forme d’un monopole commercial pour le diffuseur : si je possède les droits de tel texte, que l’auteur m’a cédés par contrat, je pourrai les exploiter commercialement du vivant de cet auteur et encore soixante-dix ans après sa mort. Après seulement, quand ce texte sera dans le domaine public, n’importe qui pourra réaliser une exploitation commerciale ou non-commerciale. Dans ce système, l’auteur jouit d’une rente en forme de pourcentage sur les ventes (8-12% en moyenne), éventuellement d’un forfait au moment de sa création (avance sur les ventes).

    • L’immense majorité des auteurs ne vit pas (et ne vivra jamais) de ses livres. Presque tous les auteurs ont un second métier (ou une fortune personnelle) qui assure le plus gros de leurs revenus. Il est donc faux de penser que le système des droits d’auteur a permis depuis quatre siècles l’émergence « massive » du métier exclusif d’auteur : aujourd’hui comme hier, très rares sont les plumes ou plutôt les claviers dont le revenu d’écriture permet de ne faire que cela. Aussi l’argument : « mais vous voulez la ruine des auteurs ! » est-il affaibli par une évidence : la plupart des auteurs sont d’ores et déjà ruinés (si, par hasard, ils espèrent vivre des ventes de leur livre).

    • La création littéraire, scientifique, philosophique, etc. est-elle une activité marchande dans ses motivations premières ? Je ne le pense pas, comme je l’ai écrit. Il paraît marginal qu’un auteur se réveille un beau matin pour se dire : « Tiens, j’ai envie de gagner plein d’argent, je vais faire un recueil de poèmes, un roman, un essai ». C’est vrai à la rigueur pour certains livres pratiques, conçus sur commande pour satisfaire un besoin supposé d’information de la population. La logique marchande se greffe donc sur une passion de créer et d’échanger, propre à l’esprit humain, non marchande ou non calculatrice dans la grande majorité des cas.

    • Du point de vue de l’auteur, le marché n’est ni un ami ni un ennemi en soi : il est simplement efficace ou inefficace pour accomplir ce qu’il est censé faire (produire de la richesse, ici du revenu pour l’auteur). Il est inefficace dans la plupart des cas, au sens où s’il produit beaucoup de chiffres d’affaires (4 milliards d’euros en France, premier marché des biens culturels très loin devant les autres), il ne procure pas beaucoup de richesse à chaque créateur pris isolément. L’offre et la demande de livres sont ainsi réparties qu’un livre ne rapporte pas grand chose (sous l’angle économique) à son auteur, il lui coûte même souvent du temps et de l’énergie plus rentables dans d’autres occupations. C’est déjà vrai dans le livre papier (où en France par exemple, 60.000 nouveautés annuelles et 600.000 références disponibles ont bien du mal pour 90% d’entre elles à trouver plus de quelques centaines de lecteurs). Ce sera encore plus vrai dans le livre numérique.

    • Le numérique fait peur avant tout aux intermédiaires du livre (éditeurs, libraires, imprimeurs, diffuseurs, etc.) : ce sont eux, et non l’auteur ou lecteur, qui ont le plus à perdre sur le « marché du livre », soit parce que le support numérique fait disparaître leur métier, soit parce que le libre échange de ces supports remet en cause la rareté physique de l’objet-livre en papier. Ces craintes sont tout à fait légitimes mais, comme je le disais ci-dessus à propos de Dumas (ou comme Anderson le fait dans Free), ils doivent prendre le problème dans l’autre sens : qu’est-ce que l’on sera (en tant que lecteur) encore prêt à payer demain ? Il y a plein de réponses possibles à cela.

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