Le partage qui valait 3 milliards

Attributor, fondé en 2005 comme start-up, est un service proposé aux éditeurs de textes pour trouver sur la toile des infractions aux droits de propriété intellectuelle, en l’occurrence au droit d’auteur ou copyright. Le principe est simple : les robots d’Attributor analysent des concordances entre des textes propriétaires et des textes publiés sur Internet. Ils ont pour cela une double base de données : un archivage et un screening permanents des pages web existantes, une copie des textes à surveiller de leurs clients (éditeurs). Il semble qu’Hachette-de-mon-ami-Nourry est client depuis 2009 (paperblog), comme un certain nombre d’autres grands éditeurs de presse et de livre.

Une étude menée par Attributor fait un peu parler d’elle depuis quelques mois : le piratage coûterait déjà 3 milliards de dollars à la seule édition américaine !

Le chiffre est inquiétant. Dommage qu'il soit bidon.

La méthodologie fut la suivante : 913 livres dans 14 sujets ont été surveillés dans 25 sites de partage. Les téléchargements ont été comptabilisés dans les quatre sites où les données sont disponibles : shared.com, scribd.com, wattpad.com et docstoc.com. Attributor y a comptabilisé 3,2 millions de téléchargements illégaux au dernier trimestre 2009. Par une première extrapolation, les auteurs de l’étude en ont déduit que l’ensemble des 25 sites représentent 9 millions de copies. Cela représente 380 millions de dollars si l’on prend l’équivalent du prix détaillant (Amazon). Par une seconde extrapolation, Attributor a élargi à toute l’industrie (dont les 25 titres ne représentent que 13,5% des entreprises) pour parvenir au chiffre de 2,8 milliards de dollars. Que l’on arrondit tant qu’à faire à 3 milliards pour les commodités de la communication commerciale.

La conclusion est assez simple : le chiffre destiné à frapper les imaginations (3 milliards de dollars) et à séduire le client potentiel (industriel du livre) ne correspond à rien

Sans même parler des séries d’extrapolation ne tenant pas compte de la disponibilité réelle de textes gratuits en plateforme de partage, le calcul d’Attributor présuppose que les livres téléchargés gratuitement auraient tous été achetés par leurs lecteurs. Soit un non-sens. Cela implique en effet que le consentement à payer (ou utilité marginale) serait équivalent pour un produit quel qu’en soit le prix, y compris zéro, en d’autres termes que le prix serait une variable totalement indifférente au comportement de l’acheteur sur un marché. Il me semble que même un enfant de cinq ans comprend l’absurdité de cette hypothèse, et du calcul qui s’ensuit.

Les producteurs de contenus (ou ici leurs prestataires de service de flicage en ligne) n’en sont pas à leur première insanité de ce genre : avant l’édition et la presse, les industriels de la musique, du jeu ou du cinéma ont déjà brandi des chiffrages fantaisistes sur les pertes en chiffre d’affaires ou en emplois dues au piratage (pour un exemple récent, le rapport de TERA Consultants, critique sur Numerama).

En fait, tous les économistes de la propriété intellectuelle reconnaissent l’extrême difficulté de la quantification en ce domaine. Pour contrebalancer les pseudo-évidences assénées avec une agressivité croissante par une seule partie dans ce vaste débat, je citerai la conclusion de deux de ces économistes, François Lévêque et Yann Menière : «D’un côté, les travaux théoriques mettent en évidence comment l’attribution de brevets larges, l’extension de la brevetabilité à des domaines autrefois exclus, l’allongement de la durée du droit d’auteur et l’élargissement des droits dérivés deviennent des freins à l’innovation ; d’un autre côté, les travaux empiriques montrent l’absence d’effets incitatifs du renforcement du droit de la propriété intellectuelle. En d’autres termes, les réformes entreprises depuis 1980 ont fait basculer le système de la propriété intellectuelle vers une surprotection défavorable à l’innovation». (Economie de la propriété intellectuelle, Découverte, 2003, 114) 

Nota. Voir aussi le compte-rendu de la récente étude M@rsouin (2010) et sa conclusion : «une extension de la loi Hadopi à toutes les formes de piratage numérique exclurait du marché potentiellement la moitié des acheteurs de contenus culturels numériques». On notera que, d’après la prose de leur site, Attributor fonctionne plus ou moins selon le principe de la riposte graduée : demande de suppression de la page, demande aux moteurs de recherche de suppression du référencement, saisie des autorités. 

5 commentaires:

  1. pourquoi ne pas utiliser votre intelligence pour créer une bulle de pognon.

    et jouir de la vie comme un ultra mafieux sybarite ?

    cynisme occidental, distanciation radicale.

    jouissance russe.

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  2. (Krane) Je suppose que ce n'est pas... mon style, en fait. Pas par jugement moral sur ce mode d'existence (les gens vivent leur vie et c'est bien ainsi), mais parce que la création de votre "bulle de pognon" demande toujours à un degré ou à un autre des rapports de domination, séduction, socialisation, etc. dont je suis incapable. Je suis d'une espèce solitaire, vous savez, et en un sens d'une espèce neutre, indifférente à beaucoup de stimuli auxquels on répond habituellement, il me manque sans doute certains gènes d'Homo sapiens.

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  3. -Une étude menée par Attributor fait un peu parler d’elle depuis quelques mois : le piratage coûterait déjà 3 milliards de dollars à la seule édition américaine !-

    Ne vous laissez pas abuser par les analystes du piratage,
    Ces chiffres sont absurdes.

    Imaginons que l'on laisse les voitures dans les rues avec les clés au tableau, il y aurait sans doute des petits gars tentés par quelques voitures. Mais ces petits gars voleraient des voitures parce qu'elles sont faciles à voler, mais pas pour remplacer un achat en concession.

    Les fichiers volés, ne seraient pas achetés, et souvent il ne sont ni écouté, ni lu, c'est juste une sorte de "ça peut toujours servir"), il n'y a quasiment pas de préjudice, en particulier dans le monde livre.
    Cette vision de milliards disponible facilement, à porté de main, me semble complètement absurde.

    Les gens, l'homme de la rue, ont un certain pouvoir d'achat, et dans nos sociétés, tout est dépensé dans la consommation.
    Et ce n'est pas la réduction du piratage, qui va augmenter ce pouvoir d'achat, le flicage ne fabrique pas de PIB. Il faut considérer le piratage comme une remise aux bons clients (ce qu'Adobe gère très bien, mais ils sont intelligent chez adobe, ce qui n'est pas forcement le cas chez les Editeurs du monde papier).

    A+

    RLZ

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  4. (RLZ) Nous sommes d'accord. "Le flicage ne fabrique pas de PIB" : quand je vois sur mon propre blog les pubs de cabinets spécialisés en défense de la propriété intellectuelle, je me dis que ce flicage crée quelques emplois :-) Mais comme il finit par alourdir au lieu de les simplifier les coûts de transaction dans de nombreux domaines, et donc par freiner la créativité de peur d'avoir trop de tiers à intégrer dans son projet ou de se prendre un procès, il me semble que le "flicage" finira même par plomber le PIB, si ce n'est déjà le cas.

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  5. Donc les 3 milliards visés plus haut n'existent pas

    RLZ

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