Le livre numérique est cher? Merci Nourry!

Dans Les Echos paraît un entretien avec Arnaud Nourry, PDG d’Hachette Livre – « 2,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires et un résultat opérationnel en hausse de 23,8 % à 301 millions d'euros », nous précise le quotidien économique. Extraits et commentaires.

« Les gens ont moins d'argent pour les livres les plus chers et il y a probablement une certaine désaffection des consommateurs pour les livres exigeants. Ce qui explique la diminution régulière du nombre de gros lecteurs. A l'inverse, on observe une extension du lectorat des livres les plus commerciaux. Et cette tendance à la « best-sellerisation » est un phénomène mondial. (…) »

Traduction pour les auteurs : le système du livre papier sera plus que jamais dominé par le phénomène de la grosse pile en librairie. Si vous n’êtes pas dans le train de la « best-sellerisation », votre livre sera de moins en moins visible, si tant est qu’il soit quelque part dans les rayons des libraires déjà surchargés. Donc dès le départ, et quelle que soit la valeur intellectuelle ou littéraire de leur contenu, les livres sont inégaux dans leur quête de lecteurs selon qu’ils sont soutenus par un grand ou un petit éditeur, et ce phénomène déjà connu devrait s’aggraver.

Ce n’est pas pour rien que la récente enquête SCAM montre qu’une majorité d’auteurs sont désormais déçus de leurs éditeurs pour ce qui concerne la commercialisation (66 %) ou la communication-promotion (67 %) de leurs livres. L’éditeur n’en peut mais : le système de distribution physique du livre papier impose des contraintes de plus en plus difficiles à soutenir. Et de plus en plus absurdes à mesure que le livre numérique se développe, puisque la question de l’espace d’exposition limité ne se pose plus sur Internet. Sans parler du système de médiatisation des auteurs réservé à quelques happy few de la « best-sellerisation ».

Si vous êtes un auteur de livre « exigeant », comme dit Arnaud Nourry, votre intérêt à privilégier le livre papier sur le livre numérique va donc devenir de plus en plus douteux à mesure que le second se développe.

« (…) courant 2008, Amazon, qui venait de lancer aux États-Unis une nouvelle version de son lecteur numérique, le Kindle, avait décidé, sans rien dire aux éditeurs, de vendre les nouveautés au prix de 9,99 dollars le téléchargement, quitte à perdre plusieurs dollars sur chaque ouvrage. Cela a été un choc terrible pour les éditeurs. D'autant que Barnes & Noble et tous les autres revendeurs de livres numériques se sont alignés. (…) En septembre, Hachette a contre-attaqué. Au moment de la sortie des mémoires de Ted Kennedy, nous leur avons fourni le livre, commercialisé un peu plus de 30 dollars, mais pas le fichier numérique. En décembre, nous avons franchi un palier de plus en annonçant que nous ne leur donnerions plus aucun fichier numérique des nouveautés au moment de leurs sorties. D'autres grands éditeurs ont fait de même. La sortie programmée de l'iPad d'Apple devrait nous permettre de sortir de cette impasse. L'iPad va être lancé aux États-Unis avec près de 6.000 références Hachette Book Group. Nous nous sommes mis d'accord sur un mandat d'agent. Dans ce schéma, c'est l'éditeur qui fixe le prix de vente des livres - ce sera donc pour les nouveautés 12,99 dollars ou 14,99 dollars s'il ne s'agit pas de best-sellers et les prix seront moins élevés pour les livres de poche. Nous percevrons une rémunération de 70 % du prix de vente, Apple 30 %. (…) Apple apparaît aujourd'hui comme le chevalier blanc de l'édition américaine. D'autant que, malgré sa grande puissance, il n'a jamais cherché à intégrer l'amont, c'est-à-dire la création. »

Il est assez étonnant, quand on est lecteur – c’est-à-dire consommateur, n’est-ce pas, puisque nous parlons bien de l’industrie du livre – de voir que le patron d’un grand groupe d’édition français se félicite d’être parvenu à imposer une hausse des prix sur ses produits. Et non des moindres, 20 % à 40 % entre les prix Amazon et les prix Apple. En ces temps de pouvoir d’achat en berne, ce genre d’annonce ferait bondir dans n’importe quel autre secteur industriel. Mais non, quand le livre numérique est concerné, il paraît tout à fait normal que la « politique de l’offre » impose cette inflation.

En coupant purement et simplement les ressources à Amazon (refus de fournir le fichier numérique), en menant procès contre Google* (sur les livres sous droits d’auteur numérisés sans autorisation) et en faisant le pari d’Apple (format propriétaire rassurant), les grands illustrent leur défiance face à l’Internet, suivant en cela le chemin des majors de la musique. La question est de savoir ce que feront les autres éditeurs, de taille plus modeste : soit ils s’alignent sur les mots d’ordre de ces grands, soit ils en profitent pour mener une politique numérique plus offensive. Rien ne dit que dans les mois et années à venir, les indépendants de taille variable et les grands groupes conservent la même stratégie, même s’ils ont tous la même contrainte de ne pas heurter de front la chaîne du livre papier (essentiellement les libraires).

Mais surtout, Google, Amazon et les autres acteurs du web – y compris de nouveaux éditeurs numériques qui commencent déjà à apparaître un peu partout – ne vont pas attendre les bras croisés que monsieur Nourry et ses amis décident s’ils daignent baisser le prix des livres de quelques centimes ou diffuser ailleurs que la tablette Apple, qui ne représentera qu’une petite part de la diffusion numérique. Les années à venir seront marquées par l’émergence de ce phénomène, la montée en puissance d’une concurrence directe du livre papier venue de l’Internet. Et ces acteurs du web (s'ils sont commerciaux) auront un argument de poids pour les auteurs : des droits allant jusqu'à 70% des ventes, au lieu des 8 à 12% en moyenne de l'édition papier.

Quant aux lecteurs, on les prend bien sûr pour des moutons en essayant de leur vendre de force des livres numériques qui sont seulement 20 ou 30 % moins chers que des livres papiers, alors que leur coût marginal de duplication et diffusion est devenu quasi-nul. Les enquêtes montrent que le lecteur attend une ristourne de 50 % sur la version numérique : il sait maintenant que les politiques industrielles de Nourry et consorts n’entendent absolument pas accéder à ses vœux.

« Pour le livre, le numérique est une opportunité. Car, contrairement à la presse, par exemple, nous proposons des contenus exclusifs qui ne sont pas menacés par une offre gratuite. D'ici cinq à sept ans, le numérique pourrait donc peser de 10 à 15 % du marché. »

Que le livre numérique ne soit pas menacé par une offre gratuite… voilà une conviction assez étrange. Il y a d’ores et déjà des millions d’ouvrages du domaine public en libre accès, donc toute la création de l’Antiquité au XIXe siècle sera de plus en plus téléchargée sur les readers. Une partie des auteurs, confrontés à la très faible probabilité d’être lus dans un système payant, choisira la diffusion non-commerciale gratuite de ses travaux par des licences de type Creative Commons. Et comme pour la musique, il est douteux que l’obligation artificielle de payer très cher un livre numérique ne se traduise pas par le développement du piratage.


(*) Sur ce procès des éditeurs contre Google, il faut lire le compte-rendu intéressant d’Ariel Kyrou dans le dernier numéro de la revue Multitudes (40, février 2010), ainsi que le livre de Bruno Racine, Google et le nouveau monde (recension ici). Contrairement à la légende que tentent de faire circuler La Martinière et consorts, Google a fait le boulot que les éditeurs ou bibliothécaires n’avaient pas les moyens de faire (enfin Hachette Livre, son chiffre d’affaires est rappelé au début de l’article, ce n’est pas vraiment une question de moyens…) et s’est contenté de donner sur Google Livres des extraits de certains textes sous droits d’auteur, selon le principe de citation élargie du « fair use » qui vaut dans le droit américain.

9 commentaires:

  1. vos textes traduisent une extrême adaptabilité à la technique et au monde humain tel qui est et a été.
    pourquoi ne pas retourner cette intelligence adaptative dépassionnée contre le système humain dans son ensemble. juste pour produire du récit..de la littérature...de la beauté destructive... ?

    RépondreSupprimer
  2. Il s'agit en effet d'alimenter la machine.

    bien. vous avez raison...mais ne vous étonnez pas qu'on vous mette tous dans le même sac.

    par exemple vous ifone, vous avez remarqué qu'on vous met dans le même trou que cette pauvre écrivine ratée de vrate.

    et ce sont des intellectuels de haut vol qui font ce type d'amalgame....et vous vous continuez de vous exprimer dans ce contexte...

    qui sont les fous ?

    RépondreSupprimer
  3. Non c'est pas vrai : je ne hais personne.

    Je suis comme Dieudonné.

    RépondreSupprimer
  4. Merci IPhone, pour ces citations de Monsieur Noury ! En tant que (grands) lecteurs/consommateurs, nous voilà édifiés !!

    Par ailleurs, quand est-ce que tu vires Krane de là ?

    Christine

    RépondreSupprimer
  5. Je suis d'accord avec christine.

    seul le premier mérite de rester.

    RépondreSupprimer
  6. De mon iPhone ce n'est pas pratique. Je supprime seulement celui que la loi m'oblige à supprimer. J'y reviens quand je trouve un poste fixe.

    RépondreSupprimer
  7. En deux mots très rapides, car la période et l'endroit ne me sont pas favorables. a) Détestant la censure, je défends la liberté d'expression y compris sur les commentaires de mon blog (sinon, ils ne seraient pas ouverts). b) J'en souhaite bien évidemment un usage agréable et responsable, notamment au regard des lois existantes qui m'obligent de toute façon à censurer dans certains cas. c) Krane écrit parfois des choses drôles, parfois des choses troublantes, souvent des propos, disons, des propos d'ivrogne, c'est ainsi que je les perçois (cela me rappelle quand l'ivresse bascule de l'inspiration vers le rien, une chose que je connaissais assez bien en d'autres vies). Tant que cela ne m'empêche pas de débattre avec ceux qui ont envie de le faire, comme Patrick D avant-hier et quelques messages plus bas, je laisse ses textes. Ce ne sera pas le cas si cela devient du flooding systématique entravant la liberté d'expression des autres. Bref, il est bien plaisant de vivre dans un monde sans flic, encore plus plaisant d'avoir l'intelligence de ne pas rendre le fliquage nécessaire.

    RépondreSupprimer
  8. " cela me rappelle quand l'ivresse bascule de l'inspiration vers le rien"
    C'est vrai que c'est à celà que ça ressemble; pour l'avoir beaucoup cotoyé ...
    Alors on va dire que c'est ça, mais je commençais à le vivre comme du systématique, d'où ma question.
    Te "connaissant", ta réponse ne saurait m'étonner ! Christine

    RépondreSupprimer
  9. Simone ou les limites de l'inspiration6 avril 2010 à 13:03

    Moi je pense que Christine elle cherche à se faire tripoter.

    RépondreSupprimer