Les blogs se meurent... vive les blogs!

Dans Libé Ecrans, je lis ce matin que les blogs confirment leur perte de vitesse face aux réseaux sociaux. Du moins dans la société américaine, mais il n’y a pas de raison de penser que les mœurs numériques varient énormément de ce côté-ci de l’Atlantique. Le Pew Research Center observe donc que les 12-17 ans ayant un blog sont passés de 28 % en 2006 à 14 % en 2009, et qu’ils se sont tournés en masse vers Face Book. (La toile murmure d’ailleurs que Google prépare une riposte sur ce terrain social, autour de sa nouvelle fonction Buzz.) En 2008 déjà, Technorati considérait que 95 % des blogs créés étaient laissés à l’abandon, sans activité cérébrale observée.

Quelques commentaires sur ces faits.

D’abord ils ne sont pas surprenants. Le web s’est démocratisé de deux manières, par les interfaces créatives et participatives simples du 2.0, par la généralisation du haut-débit sur différents supports (ordinateurs et de plus en plus mobiles). Quand une masse d’humains investit une pratique, elle la place mécaniquement à son niveau moyen – assez bas, si vous voulez mon avis. Or, FaceBook et assimilés demandent un moindre effort cognitif : modifier son statut et commenter celui de son voisin mobilise moins de neurones que produire un message même vaguement construit sur son blog. Le succès des blogs tenait à ce qu’ils étaient au début des années 2000, avec les textos et pour la plupart de leurs utilisateurs, les supports les plus simples du contact social. Et non des outils de création. Cette fonction sociale et non intellectuelle recherche spontanément les supports les plus adaptés à son expression.

Ensuite, ces faits sont plutôt réjouissants. Quelques idéalistes ou idéologues croyaient peut-être à la vieille lune « environnementaliste » selon laquelle la nature humaine, cire infiniment malléable, serait transfigurée par la baguette magique d’un nouvel environnement technique. Avec les blogs, on aurait une génération de diaristes talentueux. Or, si la technologie modifie plein de choses, elle ne change guère les fondamentaux de la biologie et de la psychologie – au moins pour le moment, on verra quand la technique modifiera directement le matériau humain au plan moléculaire et cellulaire. Les blogs ont permis l’émergence d’une minorité de talents dans le grand nombre, minorité jadis dénuée de tels moyens d’expression directe, et c’est déjà beaucoup. Mais la minorité n’est pas extensible, elle tend vers sa limite formée par la capacité à penser et écrire quelque chose d’intéressant pour des inconnus, et non pour le cercle de ses proches.

Donc la désertion de la blogosphère au profit de la sociosphère numérique me réjouit parce que le choix d’un blog est déjà et sera à l’avenir de plus en plus synonyme d’une certaine exigence quant au niveau d’écriture et d’échange. En d’autres termes, la sélection cognitive agira d’elle-même, les cons se parqueront volontairement dans les espaces dédiés à leur connerie, on aura plus de chances de tomber rapidement sur des blogs intéressants. Je force le trait comme toujours, mais on comprend l’idée, à savoir que l’idéal de la mixité sociocognitive est toujours démenti par les faits et que toute attraction vers un support populaire sera suivie d’une répulsion vers des usages différenciés de ce support dans un premier temps, vers d’autres supports dans un second temps.

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