Le niveau méta

Je n’aime pas la littérature sentimentale, mais je suis capable de deux choses : reconnaître qu’il existe une bonne et une mauvaise littérature sentimentale (des différences de niveaux au sein de la catégorie), admettre qu’il s’agit d’un genre comme un autre dans l’ensemble appelé littérature (des différences de catégories au sein du domaine).

J’appelle cette disposition d’esprit le « niveau méta ». Je l’avais rencontré et formalisé jadis dans ma réflexion éthique. Sur toute question morale, les humains produisent des jugements contradictoires avec des justifications variées. Par exemple, vous pouvez être pour ou contre la sélection d’embryon, et dans la catégorie « pour » comme dans la catégorie « contre », vous pouvez avoir des raisons très différentes pour expliquer votre choix. Se placer au niveau méta, c’est admettre cette pluralité, éventuellement essayer de la comprendre, de la simplifier et de chasser les incohérences, sans pour autant changer son propre choix. On appelle cela « méta-éthique » en philosophie. (En googlisant ce terme, vous trouverez sans doute un de mes anciens textes à ce sujet dans les dix premières positions francophones.)

En parcourant les blogs ou forums littéraires, je retrouve ce questionnement ancien. Il y a beaucoup de dialogues de sourds et d’invectives inutiles (à part le plaisir de l’invective pour elle-même et la nécessité de positionner une identité numérique) parce que les gens ne prennent pas en compte le niveau méta. Par exemple, la littérature sentimentale sera « de la merde » sans autre précision. Ou pareil pour l’autofiction, l’expérimental, la SF, etc. La messe est dite, on s’amuse au mieux à chercher de nouvelles manières d’exprimer ce jugement définitif. Et de discussions en discussions, la même incommunicabilité assez stérile se reproduit.

Une autre manière de dire cela : si l’on confond le pour-soi et l’en-soi, on est incapable d’accéder au niveau méta.

Il me semble que dans la totalité des débats où interviennent des jugements de valeur et de goût, nous gagnerions à admettre le niveau méta comme un préalable. A admettre aussi que sur ce dont on n’a pas envie de parler, il vaut mieux se taire. Mais je crains en même temps que cela soit tout bonnement impossible, car pour avoir si souvent discuté avec des gens butés, fermés, sectaires, je me demande si ce « niveau méta » n’est pas une sorte de module cognitif que l’on possède ou non à l’âge adulte. Sur une base dont je suis incapable de dire si elle est innée ou acquise, mais dont je suis sûr qu’elle est très difficile à modifier chez beaucoup.

Et puis après tout, on peut aussi se dire qu’il est nécessaire à l’homme d’émettre des idées attractives et répulsives, un peu comme les phéromones chez les insectes, que la disposition aux jugements tranchés est programmée pour cela, faciliter les repères de la vie sociale, trier les amis et ennemis, etc. Mais alors, on a des moments de grande lassitude. 

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