Eh bien pour moi, le point de vue de Benedetti ne vaut rien.
Uno, on trouve sur Internet des informations gratuites de qualité comparable à l’information papier. Je ne vois pas trop en quoi Slate, Rue 89 ou Le Post sont plus nuls que leurs équivalents papier dans la même catégorie. De même, les articles publiés sur PloS Science ont la même rigueur scientifique que ceux publiés par Science ou les PNAS. De même encore, quand Nature avait comparé Wikipedia et l’Encyclopedia Britannica sur une sélection d’articles, il n’avait pas trouvé de différences notables – et les erreurs observées chez l’un ou l’autre ont été corrigées du jour au lendemain dans un cas (comme elles le sont à chaque minute grâce au travail collaboratif et à la production distribuée de contenu). Dire que les sources gratuites ne valent rien en toute généralité, c’est faire preuve de connerie ou de mépris ou de connerie méprisante.
Secundo, Benedetti ignore la loi des grands nombres – à part lorsqu’il se penche sur son chiffre d’affaires, j’imagine. Admettons que 95 % des blogs et des sites à contenu gratuit ont un contenu pas fameux, pas fiable, pas folichon. Ce n’est pas grave du tout : il suffit que 5 % soient bons pour qu’ils grimpent assez rapidement dans les 10 ou 100 premiers hits des moteurs. Si vous prenez un milliard d’amateurs, vous avez une probabilité très forte de trouver pour chaque domaine, surtout très spécialisé, une poignée de personnes qui connaissent bien mieux leur sujet que le journaliste de base salarié chez Benedetti, sortant de la petite école d’inculture générale où l’on forme usuellement les journalistes. Si je prends le climat que je connais bien, je trouve des synthèses ou des actualités de bonne qualité sur une vingtaine de blogs animés par des chercheurs, ingénieurs, consultants (ou… journalistes) plus ou moins spécialistes de la question. Ainsi bien sûr que sur les organismes publics de recherche, qui diffusent gratuitement du savoir. Et c’est exactement pareil dans le domaine de la médecine ou de la biologie. Je suppose que chacun, sur les dadas qui sont les siens, peut se construire une liste de 2 à 200 sources gratuites dont le RSS le tient bien mieux informé que la lecture du Monde, le visionnage de TF1 ou l’écoute d’Europe 1. (Certes, il vaut mieux parler anglais, lingua franca de la connaissance mondialisée ; la France, l’Italie et autres étant devenues des sous-préfectures du savoir, rien à espérer si l'on se limite à un tout petit périmètre, du moins avant l’invention tant attendue du web multilingue à traduction automatique.)
Tertio, les remarques faites précédemment doivent être interprétées dans la durée. Le contenu papier est fixe, séparé et jetable ; le contenu numérique est mouvant, connecté et cumulable. Sur n’importe quel sujet donné, la probabilité augmente à chaque seconde de trouver gratuitement une synthèse correcte ou un aperçu original (le genre de choses que l’on est censé dénicher sur le papier dans l’esprit de Benedetti, je suppose). Le rôle des moteurs et des agrégateurs est déjà de collecter ces sources. Et l’on peut espérer que l’évolution vers un web sémantique permettra l’émergence d’annotateurs sur la qualité relative des mêmes sources en fonction des critères que chacun développe intuitivement ou sciemment sur cette qualité.
Quattro, je considère à titre tout à fait personnel que Benedetti et consorts produisent dans leurs journaux payants de la merde en barre. Achetant parfois par faiblesse, nostalgie ou inadvertance ces supports de presse, je suis dans 95 % des cas consterné par le niveau de ce que je lis. D’abord, une grosse moitié sinon les deux-tiers s’inscrivent dans ce que Benedetti appelle de « l’information générale gratuite » (sauf que là, elle est payante). Ensuite, l’espace papier étant limité, la profondeur et la diversité des analyses le sont autant que lui. Enfin, sur papier ou sur écran, le journaleux produit ce qu’il sait faire, de la journalerie. Qui ne vaut ni plus ni moins que ce que vous êtes en train de lire – donc pas grand-chose, objectivement. Parce que sur mon échelle (toujours personnelle) de la qualité, le savoir sur un sujet donné est détenu par des savants, c’est-à-dire par une communauté d’auteurs spécialisés qui produit collectivement et provisoirement un état à peu près correct de la compréhension d’une question. Collectivement parce qu’aucun spécialiste ne détient seul la vérité sur son sujet, tout spécialiste qu’il soit ; provisoirement parce que le savoir évolue avec une agrégation au corpus existant d’observations et hypothèses nouvelles, et une sélection permanente des plus pertinentes.
Alors oui, de la meilleure manière de cultiver la tulipe au rôle de la méthylation ADN dans la cancérogenèse en passant par les mécanismes des crises financières, il existe potentiellement une information de grande qualité qui consisterait dans la synthèse le plus objective, la plus simple, la plus accessible et la plus à jour des connaissances existantes. Mais croyez-moi, ce n’est pas dans la presse payante de Benedetti et de ses confrères que vous la trouverez.
Sauf exception, le gang des éditeurs de presse se contrefout de telles réflexions, comme la mafia des producteurs de contenus auquel il appartient. Soutenue à bout de bras par diverses aides étatiques (en France du moins, j’ignore le cas italien), perdant une manne publicitaire à bout de souffe, cette presse à bout de nerf est obsédée par sa survie à court terme, qui prend généralement la forme d’une édition numérique très limitée assortie d’une édition complète payante. C’est du moins le business plan annoncé par beaucoup, comme l’influent New York Times. Tirer à boulet rouge sur le gratuit est pour ces massmedia à l’agonie un moyen de vendre leur soupe, absolument pas de servir un intérêt général dans le domaine de l’information et de la connaissance.
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