Premier train gare de Lyon. A six heures ce matin il pleuvait, sur le chemin de la chambre mortuaire. Je retrouve mon père dans une pièce isolée. Il me semble que ses cheveux sont plus gris, peut-être un effet de l’éclairage. Son corps est déjà presque froid, comme il l’était quand la fièvre tombait, mais ses mains sont détendues. Un drap le recouvre. La mort a figé son visage tel que je l’avais vu une journée plus tôt, elle lui donne cependant la teinte cireuse et l’irréelle présence que l’on reconnaît immédiatement. Je suis le premier. Le médecin aux traits fatigués par sa nuit me dit quelques mots, ainsi qu’une femme du service. Leur lot quotidien, ou presque, à l’étage de la gérontologie. Mon père ne s’est pas réellement réveillé depuis un jour et demi, ses fonctions vitales ont commencé à décliner en soirée, son existence s’est achevée dans un sommeil solitaire. Peut-être y-a-t-il des détails que je ne connaîtrai jamais. Je demande à être seul. Je lui dis quelques mots, enfin non, je parle à voix haute, des phrases pour personne, des phrases dans le vide, je n’y crois pas moi-même. Son regard n’est plus là. Le mien s’engouffre dans sa bouche béante. Alors je me tais. Et je le photographie.
Mon frère puîné, venu de Grenoble dans la nuit et dormant chez moi, est impossible à joindre depuis 4 h. Il sera de toute façon arrivé trop tard. Le jour peine à se lever, des oiseaux piaillent sans conviction dans le bois froid qui entoure l’hôpital. Je dois apporter à mes enfants la mauvaise nouvelle. Pour la dernière, j’attends qu’elle sorte de l’école. La peine jaillira ainsi, de proche en proche, de pleur en pleur.
Je l'appreds à 2 h 38; j'ai vécu cette scène-là plusieurs fois; la première, c'était mon père; j'avais 12 ans.
RépondreSupprimerC'est con, sans doute, mais je pense à toi.
Christine