Servage, sevrage

Couché vers sept heures, levé vers treize, pas fini mon programme la nuit précédente, pas vraiment fini ma nuit non plus. Et nous sommes dimanche, le macchabée de la semaine. Il est déjà vingt-et-une heures, je recarbure au café noir pour une nouvelle putain de nuit blanche en perspective. Si les gens savaient écrire, je serais délivré de la tentation de le faire à leur place, je devrais trouver un autre travail et ce serait sans doute mieux, je cède à celui-là par facilité mais cela finit par me dégoûter, le mercenariat du verbe.

ça et ma sobriété volontaire, on ne peut pas dire que je traverse la période la plus gaie de mon existence, j’ai le cortex qui stresse en permanence. Manquerait plus que j’arrête de fumer. À ce propos, mon sevrage n’a absolument pas réussi côté clopes, vous l’aurez compris, je suis même remonté à deux paquets jour et ce n’est pas la masse actuelle de boulot qui va m’aider à diminuer. Vu comment la nicotine s’insère dans les synapses, et au-delà d’elle, les habitudes comportementales répétées cent fois par jour pendant des années chez les gros fumeurs, je ne vois pas comment les personnes ayant un impérieux besoin de se concentrer dix heures par jour font pour réussir leur sevrage tabagique. Moi, si je dois penser à la cigarette qui me manque, je suis absolument incapable de pondre trois lignes. Et puis bon, je ne dois pas non plus en avoir réellement le désir. La nuit dernière, j’ai regardé deux-trois clips sur Gainsbourg à cause d’un lien que j’avais croisé dans une discussion, et j’aimais décidément sa manière compulsive, autodestructrice de fumer. Et de boire. Ils fumaient et ils buvaient tous, dans les studios d’enregistrement, ils riaient aussi. 

Je me souviens lointainement d’un pamphlet de Syberberg, La société sans joie. La nôtre. Quadrillée par des flics, les flics du marché, les flics de l’État, les flics de la société, les flics de la santé, les flics de l’esprit, toute une armée de flics qui passe son temps à murmurer « fais pas ci fais pas ça », « pense pas ci pense pas ça », même pas des flics méchants, même pas des flics sadiques, des sortes de flics gentils qui veulent ton bien, c’est-à-dire que tu crèves à 80 ans, après avoir trimé les deux-tiers de ta vie, payé tes impôts, surtout pas ruiné la Sécu, surtout pas gêné ton voisin, surtout pas dit un mot de travers, et hop dans le trou ou dans le four, au suivant. Ou alors je deviens complètement parano, entre mon servage nocturne et mon sevrage diurne. 

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